Dans le livre 2 des Petits guides du trail running parus chez Outdoor Editions, nous vous présentons 12 séances clés du trail running. En voici une treizième à adapter selon son expertise et sa spécialité mais qui s’avère essentielle pour mieux gérer ses courses. Il s’agit d’une séance tempo à une intensité spécifique de sa spécialité. Dans le cas des ultra traileurs qui sont contraints à de longs et forts dénivelés en course, elle peut se dérouler dans une portion uniquement montante. Voyons comment paramétrer une telle séance et quels intérêts en retirer.
Tout d’abord, que veut dire le mot Tempo ? Ce terme signifie tout simplement le rythme ou le pacing, terme anglo-saxon plus largement utilisé. Par séance tempo, on entend donc « séance à intensité régulière ». Pour les coureurs sur route et les traileurs, la séance tempo consiste bien souvent à courir à une intensité proche de l’intensité de course, et donc sur une durée moindre, à la recherche d’un état stable. Selon sa spécialité, les intensités peuvent donc varier. Pour le marathonien, cela peut correspondre à l’allure spécifique marathon, à tenir sur 30 min ou 10 km par exemple, à une intensité proche des 80% de VMA, et à affiner selon son expertise. Pour un spécialiste de trail court, l’intensité à tenir est sensiblement la même, mais c’est le terrain et la vitesse qui changent. Puisque la vitesse n’est plus un repère (car elle varie constamment selon le dénivelé et la technicité du terrain), on peut se fier aux fréquences cardiaques, et notamment à la fréquence cardiaque de réserve qui est bien corrélée à l’intensité de l’effort en terme de consommation d’oxygène. Ainsi, évoluer à 80% de sa fréquence cardiaque de réserve revient grosso modo à courir à 80% de son VO2max. Pour opérer les calculs, il faut retrancher la FC repos à la FC max et calculer en pourcentages de cette différence.
Exemple pour un coureur à 180 de FC max et 50 de FC repos. Sa FC de réserve est de 180-50 = 130. A 80% d’intensité, il doit courir environ à (130 x 80/100) + FC repos = 114 + 50 = 164 pulsations par minute.
Rechercher l’état stable veut dire que les variations autour de cette intensité cible doivent être limitées. Très souvent, avec la fatigue mais aussi avec la chaleur, on observe une dérive cardiaque, vers le haut bien entendu.
Le paradoxe de l’ultra traileur
Pour un ultra traileur, est-ce que cette séance a de l’importance si on évolue à une intensité proche de l’intensité cible de la course ? La réponse est non car l’intensité moyenne d’un ultra est celle de l’endurance fondamentale, ce qui veut dire que chaque sortie longue est une sortie à intensité spécifique. En effet, les études montrent que les ultras se courent entre 50 et 65% de VO2max de moyenne. Il va donc falloir jouer sur l’intensité moyenne de la séance qui sera plus élevée que celle de la première partie de course, afin de développer les adaptations métaboliques nécessaires et progresser, notamment en montée. Nous allons voir que la montée est un secteur particulier de l’effort dans lequel le musculaire peut impacter positivement ou négativement le cardiovasculaire, avec le risque de mettre le coureur non-expert en grande difficulté.
Par contre, pour les coureurs bien entraînés de trail long, et à fortiori pour les spécialistes de trail court, cette séance doit se courir à une intensité supérieure à l’endurance fondamentale (60 à 70% du VO2max ou de la VMA à plat). Elle devient donc un must et permet de mémoriser l’intensité de course et de développer les adaptations nécessaires à la performance.
Endurance, pacing et endurance de force
Le travail en côte, déjà très utilisé chez les pistards et les routards, est davantage essentiel en trail car il correspond à une spécificité de la discipline. Nous avons déjà parlé des différentes modalités de travail en montée, sur toutes durées, technicités et dénivelés, avec des objectifs à chaque fois différents, qui peuvent être d’ordre cardiovasculaires, musculaires, biomécaniques, techniques et même mentaux.
La séance que nous allons évoquer à présent est un 30 minutes en côte continue. Bien entendu, elle ne s’adresse qu’aux traileurs bénéficiant d’un terrain adéquat, même si on peut l’envisager également sur tapis roulant incliné. Les objectifs sont les suivants :
– Travail de pacing, c’est-à-dire de gestion de l’intensité de l’effort. Il s’agit d’être le plus régulier possible à des fins d’économie musculaire et de déplétion énergétique. Pour travailler le pacing, il faut donc déterminer une FC cible, ce qui n’est pas si simple (voir exemple plus haut).
– Endurance de force : Courir en montée nécessite la production d’un certain niveau de force, proportionnel au pourcentage de la pente. Au-delà de 15%, on rentre dans le concentrique pur et il n’y a plus de stockage-restitution d’énergie élastique. Rappelez-vous que le couple Force-Endurance de force est à mettre en parallèle avec le couple VMA-Endurance. Ces deux couples sont également liés par le fait que l’amélioration du premier permet l’amélioration de l’indice d’endurance (ou fraction de VMA/PMA/VO2max), facteur essentiel de la performance, toutes disciplines aérobies confondues.
Paramétrer sa séance
Pour la durée, 30 minutes est un bon choix de départ qui permet de vérifier qu’un état stable est atteint, avec donc une dérive cardiaque limitée et l’absence de douleurs musculaires. Le plus difficile est de paramétrer l’intensité car elle est dépendante non seulement de la durée mais également de la signature énergétique individuelle. Disons qu’une moyenne de 80% est intéressante sur 30 minutes car elle correspond à de l’endurance déjà active.
Dans le cas présenté ici, l’athlète possède un indice d’endurance très élevé. L’examen de ses performances à l’entraînement montre des montées gravies en aisance à 70-75% d’intensité, et jusqu’à 75-80% en compétition. L’intensité exigible pour la séance sera donc de 85%, et en raison du fort enneigement dans les Alpes en février, le parcours sera essentiellement sur la route. Le tempo est toujours précédé d’un échauffement afin que l’intensité cible soit ensuite rapidement atteinte sans contraction de dette d’oxygène ; et le tempo sera suivi d’une période plus ou moins longue de retour au calme. Ce tempo peut aussi s’intégrer au sein d’une séance longue.
Données Suunto de la séance tempo : Fréquences Cardiaques en jaune et altitude en blanc
Données recueillies sur les 30 minutes tempo :
Echauffement d’une douzaine de minutes en descente. Comme l’intensité cible se situe en deçà du seuil anaérobie, cet échauffement peut être relativement court mais ne doit pas faire moins de 10 minutes.
FC moyenne : 162 FC max atteinte : 171
Distance : 5.6 km D+ : 390 m
Vitesse moyenne : 11.1 km/h et vitesse max 14.4 km/h
Données au regard de l’athlète :
Précisons qu’il s’agit d’une athlète élite, Audrey Tanguy, du Team HOKA international, 1ère de la TDS 2018 et 23ème au scratch, ce qui situe le niveau de performance. Ce travail était plutôt inhabituel pour elle dans le sens où elle s’entraînait beaucoup aux sensations, parfois avec le cardio, mais sans objectif précis en termes d’intensités ou de chronos ou de vitesses ascensionnelles.
La FC moyenne de la séance tempo (FC moy = 162) se situe à 86% de la FC de réserve. La FC max de la séance (FC max = 171) se situe à 95% de la FC max établie précédemment sur un test d’effort.
On observe sur la courbe une légère dérive cardiaque, mais qui n’est pas inquiétante compte tenu de l’excellent freinage cardiaque à la fin du tempo. En effet, les FC passent de 171 à 134 battements par minute en moins de 2 minutes, alors que la progression se fait toujours en montée, et en courant bien entendu. La vitesse moyenne, 11.1 km/h, qui reste très dépendante du terrain, confirme qu’il s’agit bien d’une athlète élite. Pour le vérifier, programmer une séance sur tapis à 7% et à 11.1 km/h, vous verrez que ça va vite alors que le rendement du sol est bon. Au final, Audrey aura accompli 18 km en 1h45 avec 730 m de d+/d-
Le lien vitesse en côte/vitesse à plat
Les vitesses en trail nous donnent peu d’indications, qu’elles soient instantanées ou moyennes, car elles ne correspondent pas à l’intensité de l’effort comme sur la route à plat. Alors, au-delà du calcul de la fréquence cardiaque de réserve qui est corrélée à l’intensité de l’effort, pouvons-nous établir un lien entre vitesse en montée et vitesse à plat, ce qui permettrait d’avoir les mêmes repères pour tous ? On le peut en partie grâce à l’évaluation du coût énergétique en côte par rapport à celui à plat. D’une formule complexe (polynôme d’ordre 5 pour les matheux), on peut tirer un coefficient multiplicateur dépendant de la pente.
Dans le cas présent, la pente moyenne est d’environ 7% (rappelons à cet égard que la pente est le rapport de la distance horizontale au dénivelé, et non de la distance parcourue au dénivelé, mais que la différence est insignifiante sur de faibles pourcentages). A 7% de pente, le coût énergétique de la locomotion est environ 1.38 fois supérieur à celui à plat. Or il faut se rappeler une équation simple : vitesse de course en km/h ou m/s avec F = fraction de VMA à plat et Cr = coût énergétique de la course. Ainsi, plus ce coût est élevé et plus la vitesse de course est faible pour une même intensité d’exercice. Dans l’exemple donné, il suffit de multiplier la vitesse moyenne (11.1 km/h) par 1.38 pour obtenir la vitesse équivalente dans cette côte à 7% de moyenne. On obtient la vitesse de 15.3 km/h. Cette valeur n’est qu’indicative car le coût à plat varie (peu) entre les individus, mais surtout parce que cette valeur s’entend pour un sol avec le rendement de celui d’une route ou d’un tapis, c’est-à-dire avec aucune technicité. Ici, l’athlète a réalisé sa séance à moitié sur route et à moitié sur sentier, parfois avec de la neige. Ainsi, on peut considérer que 15.3 km/h est la valeur minimale et qu’elle pourrait se rapprocher des 16 km/h dans des conditions idéales. Avec ce calcul, on peut mieux se rendre compte de la qualité objective de la séance réalisée par cette athlète.
Retour et pistes d’amélioration
La gestion est bonne et conforme aux objectifs de la séance, autour des 85%. Par ailleurs, si on utilise la vitesse correspondante à plat, on obtient un indice d’endurance de 87.5%, en adéquation avec les données cardiaques. Rappelons que cet indice est élevé et qu’il constitue l’un des atouts de cette traileuse. Si on lui demandait d’aller plus vite et donc de se rapprocher de son seuil anaérobie, l’objectif de la séance serait différent. Il s’agirait de reculer le seuil d’accumulation du lactate (ou seuil anaérobie), utile dans le cas de pentes plus raides ou en haute altitude, mais ce travail se ferait préférentiellement sous forme de fractionné. L’évolution peut se faire vers une pente plus technique, avec de fortes variations de pourcentages, mais également sur des distances ou durées plus longues, ce qui sera le cas pour elle sur la TDS par exemple où elle s’alignera à nouveau cette année, compte tenu de la nouveauté de l’épreuve mais également de la nécessité de poursuivre ses apprentissages.
Ce type de séance peut se programmer une fois tous les 15 jours car elle permet d’évaluer son niveau de forme sur une durée d’effort intéressante. Elle peut également se réaliser sur tous types de pourcentages et de technicité, l’essentiel restant la gestion régulière de l’effort. Bien entendu, une séance doit s’intégrer dans une programmation éclairée. Si l’intensité est bien gérée, elle ne génère pas une fatigue excessive et peut s’articuler aisément avec tout type de séance.
A vous de jouer !
Par Pascal Balducci – Photos Evadict/Kalenji
décembre, 2024
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