Sebastien Camus, c’est une histoire d’ultra qui dure, racines en Mercantour et sagesse alpine. Celui qui vient de fêter son Master2 (spécialité trail) a également les pieds ancrés dans La Réunion : 9e, 7e ou 2e de la Diagonale, Seb Camus aura dansé avec ses 165K. Version Grand Témoin, nous avions envie d’écouter ses conseils, à l’heure où il revient sur le Grand Raid Réunion 2023.
Recueilli par Julien Gilleron
Pourquoi as-tu choisi l’ultra : l’introspection, le voyage, la possibilité d’une carrière longue ? simplement parce que tu « t’y sens le plus performant » ? Allons, un peu de rêve…
SC : Eh bien je pense que tu as tout dit. Déjà parce que je me sens performant sur cette discipline ; je ne dirais pas que c’est la première explication, mais ça en fait partie. C’est réellement ce qui m’a permis de me connaître d’expérience en expérience, et oui : je pense que la vie est un voyage personnel et cette pratique m’a apporté toujours plus de connaissances sur moi-même, et donc sur ce qui me permet d’évoluer à titre général. J’y ai vraiment vécu des choses extraordinaires, et comme je dis à chaque fois que je démarre un ultra, je suis réellement une autre personne une fois la ligne d’arrivée franchie. D’épreuve en épreuve, je passe une étape. Pour ma part, ce sentiment d’apprentissage et de cheminement n’aura été accessible qu’exclusivement par cette pratique. Après, le trail en général – et tu le sais – constitue une connexion avec la nature, et je n’aurais pas pu découvrir des endroits magnifiques sans ces voyages en courant. Désormais, je voyage nettement moins et je sais avoir quand même un peu cramé la planète durant quelques années ; j’en ai pris conscience. Je n’irai pas jusqu’à dire que je le regrette car je ne le savais pas, et il est toujours temps de corriger son comportement, à mon avis. Mais nous avons la chance de vivre dans un pays magnifique où il y a déjà beaucoup, beaucoup de choses à faire.
Pour beaucoup d’ultra trailers, la Diagonale des Fous représente la quintessence de leur sport. Es-tu d’accord, ou dans quelle mesure ?
SC : J’ai deux événements majeurs qui ont marqué ma vie et ma carrière : l’UTMB et la Diagonale des Fous. Clairement. L’UTMB pour cette communion finale incroyable lorsque tu arrives dans Chamonix, après ce départ un vendredi soir pour un tour qui doit se terminer le plus tôt possible. C’est magique, sans conteste. Mais sur le même piédestal, il y a la Diagonale : tout aussi incroyable et qui m’a procuré des émotions très intenses, que je désire absolument revivre encore une dernière fois. C’est donc pour cela que j’y retournerai l’année prochaine, tant je suis tombé amoureux de cette île. S’il y a bien un endroit sur terre où j’aurais rêvé d’aller vivre, c’est là-bas. La Diagonale est tout simplement authentique, en ce sens qu’elle représente ce que l’on recherche également dans l’ultra : cette connexion brute, avec le vrai, la nature, la source de tout. Cette force y est perceptible. Tu cours en immersion totale et au bout de toi-même sur près de 170 km, et tout le sensitif s’en mêle : j’ai encore des odeurs, des images, la sensation du relief et de la relation au terrain même ! S’il fallait résumer, c’est une épreuve que je conseille à tous ceux qui veulent vivre d’unique et de « supérieur » une fois (au moins) dans leur vie. Après, il faut s’y préparer…afin de la vivre, et non de la subir.
Elle est souvent décrite comme la plus difficile et cassante : mythe ou réalité ?
SC : A mon sens, oui, c’est l’une des plus dures, voire la plus dure. On parle souvent de la distance, mais il n’y a pas que le kilométrage : là ou d’autres 100 miles vont s’avérer copieux en termes de longueur, la Diag’ reste la plus technique et cassante en matière de profil autant que de climat. Le sauvage des parcours produit quantité d’obstacles en série ; mais personnellement c’est ce que j’apprécie, cet enchaînement de marche qui ne sont pas uniformes, ou s’accrocher à des branches pour pouvoir grimper… Oui, je valide : la plus dure. Réalité.
Crois-tu à la possibilité d’enchainer UTMB et Diag ? Cette année, la majorité des élites ont soit abandonné, soit shunté l’UTMB. On pourrait donc les espérer fin prêts.
SC : Eh bien pour ma part…j’ai toujours enchainé UTMB-Diag, mais cela reste très compliqué ! Cela implique d’être très vigilant sur l’enchaînement, et intelligent quant à la période entre les deux compétitions. La récupération est évidemment l’objectif fondamental, car la sous-estimer signifierait jouer à pile ou face. Il y a trop à perdre voire à risquer niveau santé, en s’engageant pas assez régénéré sur la Diag’. Refaire du jus encore et encore de fin août à mi-octobre, c’est l’une des clefs. Mais cette année, je pense qu’il y en a un qui pourrait être très bien marcher, compte-tenu de la façon dont il a fait évoluer sa préparation et l’attention qu’il porte à une foule de petites choses – à commencer par la récupération ou une préparation hivernale à ski, nettement moins impactante : je parle de Germain Grangier qui à mon sens, va réaliser un bel enchaînement. Je crois même qu’il va accomplir quelque chose d’exceptionnel, mais j’espère qu’il ira chercher la Victoire sur cette Diagonale. Il a envie, il écoute sa motivation, il a confiance en ses sensations ; c’est son moment et je crois même qu’il le pressent. Concernant les autres élites qui ont abandonné sur l’UTMB, je ne saurais trop dire : François D’Haene n’a pas accroché un dossard mais sait se préparer au mieux, Benat Marmissolle était attendu mais n’en sera pas…Ce n’est pas donné à tous de s’aligner sur une Diag’ alors que l’on s’était énormément préparé à l’UTMB, même « raté ». Le challenge est dans l’enchainement plus que dans l’adaptation physique à tel ou tel parcours.
Est-il encore temps de s’entrainer 3 à 4 semaines avant, comment – ou que faire ?
SC : Avant tout, je cherche à arriver frais sur une Diagonale : il faut vraiment se focaliser là-dessus. Ça ne sert à rien de vouloir capitaliser trop d’entraînement, au risque de prendre le départ fatigué. Quitte à accumuler un peu de désentraînement, mieux vaut tout miser sur le repos ; ce n’est pas grave parce que sur la distance et la durée, ça ne posera pas de problème, sincèrement. En revanche, si tu débarques fatigué, oublie. Oublie ! C’est foutu. Tu ne finiras pas. 3 ou 4 semaines avant la course, il faut conserver du rythme et maintenir des entraînements un peu solides mais réduits en volume ; réaliser un vrai affûtage. Personnellement, j’élimine la surcompensation à l’approche de ce type de compétition car cela signifie prendre trop de risques.
Gestion de la météo et acclimatation tropicale : tes conseils ?
SC : L’idéal est en effet d’arriver le plus tôt possible, et surtout faire attention à tout ce qui est climatisation parce que l’île vient de sortir de l’hiver : toutes les clims tournent à bloc. Ne pas descendre trop bas les températures ; déjà parce que ça ne sert à rien, mais également, car l’humidité peut générer des germes qui s’accumulent dans les ventilations. J’essaye donc de temporiser entre chaud et froid, au ressenti, même s’il arrive que j’ai envie de plus de frais. Nous métropolitains, attaquons l’automne et nos organismes sont déjà en préparation hivernale, sortis de l’été qui a été (de plus en plus) chaud. Certes, cette année va changer un peu la donne car début octobre, il fait encore 25°C en France. Mais moi-même, j’ai subi ce choc thermique à l’arrivée sur l’île, et déjà un peu enrhumé, ça m’a conduit à abandonner la course. Cela dit, je crois que j’aime bien ce paramètre, car cela fait partie de la spécificité de l’île.
Le pire ennemi du coureur selon toi ?
SC : Je serais tenté de te dire que c’est propre à chacun…mais allez : moi, c’est le bide ! C’est mon pire ennemi. Or, si par malheur, tu ne peux plus t’alimenter, cela devient très compliqué de rejoindre la ligne d’arrivée, si ce n’est en ralentissant de plus en plus. J’aurais tendance à cibler tous les petits éléments divers qui peuvent venir bousiller l’expérience ; de l’ongle incarné à la petite tendinite qui ne faisait plus parler d’elle, mais qui se réveille bizarrement. Il faut être sensible par rapport à tout cela, et bien prendre en considération le fait que le moindre petit grain de sable peut faire dérailler la machine. Et peut-être sur la Diag’ encore plus qu’ailleurs.
Bons ou mauvais, quels souvenirs gardes-tu des anciens parcours ?
SC : Je les adorés, dans leur variété. Je garde un super souvenir de ma deuxième place en 2015 où je termine sur 60 km de rêve, notamment sur le Chemin des Douaniers. C’était absolument exceptionnel. L’unique petit bémol serait l’arrivée qui reste un peu fade, en tous cas pour moi et notamment en comparaison du départ : incroyable, explosif, intense et très festif, mais contraste avec cette finish line dans le stade de la Redoute où l’ambiance est modérée – effet de l’horaire, durant la nuit ? Réussir à configurer une arrivée aussi riche en émotions que celle d’un UTMB par exemple, pourrait en faire tout simplement le plus bel événement du monde, à l’image d’Hawaï pour le triathlon. Nous aurions La Diag’, pour l’ultra trail. Toujours est-il qu’elle restera mon objectif principal de la saison prochaine. J’ai hâte de retourner là-bas.
Photos Christian Retaggi
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décembre, 2024
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