Hohneck 4808, c’est le projet réalisé par Stéphane Brogniart en Mai 2022. Relier le sommet du Hohnceck, chez lui, au sommet du Mont-Blanc sur une ligne droite et directe.
246 kilomètres à vol d’oiseau, 379 en réel, 19 000 mètres de dénivelé, le tout en 12 jours.
Pour y parvenir, il n’a jamais divergé de plus de 400 mètres de chaque côté de sa ligne non sans certaines difficultés.
Stéphane Brogniart, 10ème de l’UTMB, qui a aussi traversé l’atlantique à la rame pendant le Covid en Mai 2020, se tourne vers de nouvelles aventures.
Rencontre avec le grand barbu des Vosges, entre un entraînement et sa nouvelle occupation, la fabrication de tavaillons (petites tuiles en bois d’épicéa pour les toitures ou les façades).
Lien YouTube du film Hohneck 4808 : https://youtu.be/ja3_9t2orfg
Peux-tu nous parler de ce projet « Hohneck 4808 » ?
« L’idée était de réaliser un voyage au départ de chez moi, au sommet du Hohneck [ndlr : 1363 mètres] dans les Vosges et réaliser un voyage qui aurait une originalité pour que l’on puisse s’intéresser à cet événement, non pour flatter mon égo, mais pour envoyer un message qui est de garder cette notion de voyage. »
Qu’est-ce que le voyage pour toi ?
« Pour moi le voyage, c’est aller faire quelque chose de nouveau et d’en être surpris. Cela permet d’avoir un autre regard sur certaines choses et de se retrouver confronté à de l’imprévu.
Voyager c’est aussi pour moi organiser son aventure et en être le pilote plutôt que de vouloir consommer du tout compris. Cette construction est très intéressante et fait partie du cheminement. Donc Hohneck 4808rentrait bien dans ces champs. »
« Il arrive un âge où il faut juste être et ne plus avoir l’air »
Comment as-tu construit ce voyage ?
« J’ai fait de l’azimut brutal, c’est-à-dire aller tout droit. Il n’y a rien de nouveau, c’est utilisé par les militaires. Mais ce n’est absolument pas comestible comme avancement et ce n’est absolument pas à refaire ou à vouloir utiliser. On peut en montagne pour se créer une trace sympa sur 100, 200 voire 300 mètres de dénivelé positif entre le chemin du bas et le chemin du haut en guise d’entraînement, mais là, c’était différent. On était sur des proportions assez grandes, et je ne doutais pas que ça allait être aussi compliqué. À l’entraînement, je réalisais des triangles et même, de façon assez marrante, un rond, dans l’un des derniers entraînements pour vraiment me rendre compte de ce qu’était cette activité. Cependant, ça s’est considérablement corsé quand je suis arrivé dans le Jura. Je me suis retrouvé face à des parois où je ne pouvais que descendre en rappel grâce à une corde très fine et un petit baudrier ultraléger. Il fallait en permanence s’adapter à la topographie du terrain. »
L’azimut brutal c’est donc dangereux…
« C’est un mode d’avancement qui n’est pas forcément dangereux, mais qui a ses limites. J’aime me retrouver dans des situations qui ne sont pas forcément les plus simples, non pas par masochisme, mais parce que ça m’intéresse d’aller explorer des domaines qui ne sont pas habituels. Comme tout le monde, dans la nature, en VTT, en randonnée ou en trail, je passe dans des endroits qui ont été prévus à cet effet, ou plutôt, qui ont été organisés par l’homme.
Là, je voulais découvrir et faire ma trace moi-même. Il était hors de question d’avoir quelqu’un qui me prenne la main et qui m’organise un voyage tout fait. »
Tu ne pouvais donc pas toujours rester sur la ligne de ton azimut
« Je m’étais donné 400 mètres de chaque côté de ma ligne. Pourquoi 400 mètres ? Car à tous mes entraînements, je voyais bien que 400 mètres était suffisant donc je me suis dit que je parviendrais à me débrouiller…et finalement, je m’en suis plutôt très bien sorti, sauf à deux endroits. Le premier, ça a été au lac de Neuchâtel. Je suis arrivé un peu trop sûr de moi dans un petit packraft (une sorte de kayak gonflable) qu’on m’avait gentiment prêté, mais il y avait de très gros bateaux et j’allais à 90° du vent, donc au bout de 500 mètres, le bateau était quasiment plein. J’ai dû faire demi-tour et me faire déposer de l’autre côté. La seconde fois, c’était au Mont Ruan, après le lac Léman et juste avant de basculer sur la vallée de Chamonix. On était dans une période où il y avait encore pas mal de neige et un peu de glace, c’était périlleux avec de la neige jusqu’à mi-cuisse. J’ai dépassé de 1 kilomètre de la trace idéale à cet endroit. Le Mont Ruant ça aurait été vraiment sympa, mais bon, c’était le jeu. Et après, j’ai pu retrouver ma trace pour arriver à Chamonix. »
Tu as passé douze jours en solitaire ?
« Hohneck 4808 a duré onze jours plus un. J’ai eu onze jours d’avancement seul, ou presque, car j’avais une puce en permanence et des personnes ont fait des jeux de piste pour me chercher. Ceux y parvenaient, arrivaient toujours avec un petit bout de saucisson ou de chocolat. C’est devenu participatif sans le vouloir, notamment en Suisse. Et au onzième jour, à 10 heures du matin, j’ai appelé Guillaume Pierrel, avec qui j’avais prévu la montée au Mont-Blanc. Il m’a dit que ça ne pouvait pas mieux tomber, car plus tard ça aurait été compliqué. Par contre, il m’a dit : “C’est en one shot et on part à 2h du matin cette nuit“. J’avais un petit logement, j’ai posé toutes mes affaires et j’ai récupéré le matériel qui avait été acheminé pour la montée. Donc à 2 heures du matin, avec Guillaume, on mange, on fait les dernières mises au point, puis on part du centre de Chamonix. On arrive au départ, au-dessus du tunnel, et on monte 1 000 mètres de dénivelé positif parce qu’il n’y avait pas de neige, puis à partir de là, on chausse. On fait toute cette traversée qui nous mène au refuge des Grands Mulets, et encore une fois, c’était sur la ligne. Coup de bol. Le sommet, puis la descente qui a été plus qu’épique, parce que j’étais totalement rincé. Mais voilà, à 18h30, on était de retour à Chamonix. »
“On peut être dans l’essentiel sans se laisser abuser par le marketing“
Tu voulais également faire passer le message qu’on était dans une société de sur-consommation.
« J’ai la chance d’être vieux et je suis bien content d’être vieux. Je suis passé par tout un tas d’étapes dans ma vie qui vont du flattage d’égo, à celui d’essayer d’être plus malin qu’un autre. Et puis à un moment, je me suis dit qu’il fallait se retirer de la fuite en avant. Il arrive un âge où il faut juste être et ne plus avoir l’air. L’un de mes combats en ce moment, c’est d’essayer d’utiliser le minimum de choses indigestes pour l’environnement. Je sais que je suis le plus gros des consommateurs parce que j’ai des moyens financiers, je suis occidental, dans un pays où on ne manque de rien et où on peut tous obtenir en un clic, mais je tente aussi, peut-être pour m’endormir un peu plus gentiment le soir ou avoir bonne conscience, à ne pas vouloir utiliser trop de matériel. Cela a été le cas des partenaires qui m’ont rejoint. Je leur ai dit que je ne voulais pas être une forme de panneau publicitaire pour mettre en avant leur marque et dire tout le bien que ça va donner à leur image car ils soutiennent un projet un peu particulier. Je voulais qu’ils soient en raccord avec le message de cette aventure. Il était hors de question d’avoir de l’argent ou du matériel à tout prix. Je ne voulais pas avoir du matériel à demeure, la majorité m’a été prêté. Je faisais aussi beaucoup plus attention au matériel que j’avais car je ne pouvais pas me dire “il est cassé, pas grave on va m’en renvoyer“. Dans le Jura des fois, je lestais le sac, je remontais une corde et après je remontais le sac qui frottait les cailloux. Maintenant, il a 2-3 petits trous, mais il est toujours là. Depuis il a été réparé et à la prochaine aventure, si j’en ai besoin, il repartira comme ça : rafistolé. Ça ne fera peut-être pas beau sur les photos, mais ça le fera quand même. »
Tu voulais montrer qu’on pouvait être à l’essentiel avec peu de choses.
« On peut être dans l’essentiel sans se laisser abuser par le marketing. On est aujourd’hui dans l’opulence inutile, un monde parfois artificiel ou l’on nous dit comme on doit être pour soit-disant être heureux. Le voyage ce n’est pas faire des milliers de kilomètres pour aller refaire la photo que l’on a vu dans le catalogue.
Oui, on peut trouver des choses extraordinaires à quelques kilomètres de chez soi ».
Cette prochaine aventure, justement, quelle sera-t-elle ?
« Je peux dorénavant te l’annoncer. J’étais parti pour la Barkley, mais je n’ai pas été pris. Le Ramsay Round, en Écosse, me faisait de l’œil surtout que c’est un projet que tu montes toi-même, sauf que je n’avais pas le choix dans les dates, donc je préfère le garder sous la main. Donc au mois de mai, je me donnerai entre 15 et 18 jours pour partir de la maison et aller à la place Rouge à Moscou en vélo cargo. Ce sera en autonomie, car il n’y a vraiment rien d’organiser hormis une trace GPS et un panneau solaire. »
Pourquoi effectuer un voyage en vélo cargo ?
« Le vélo cargo est devenu mon véhicule de tous les jours. Je vais faire les courses en vélo cargo et je vais à la station de ski avec. Je voulais donc faire un petit clin d’œil à ce moyen de transport un peu particulier qui commence à prendre de l’ampleur dans les villes, mais moins dans les campagnes. La distance est souvent un détracteur de la mobilité douce. J’ai peut-être des capacités physiques que tout le monde n’a pas, mais si je parviens à parcourir des distances avec mon vélo cargo sans assistance électrique, tout le monde peut le faire. Maintenant, il existe même des vélos avec assistance électrique. Je veux aussi traverser l’Europe en allant rencontrer des gens qui sont formidables, malgré ce que les médias voudraient nous faire voir des gens qui sont à l’Est. Donc direction la place Rouge : 2 800 kilomètres en moins de 20 jours. Par contre, je pense que l’exploit ce sera surtout de trimballer un vélo cargo dans un train au retour. L’aventure commencera là-bas (rire). »
As-tu d’autres projets en tête ?
« En août ou au printemps je souhaite faire le Makalu. Si j’y vais, c’est parce que j’ai une très mauvaise image des personnes qui font des 8 000, ou plutôt de la manière dont c’est fait, avec ces agences, qui à coup de billets, te garantiraient presque un 8 000 avec la photo au-dessus du monde pour flatter l’ego et faire le malin. Il y a un vrai souci là-dedans. Je pense qu’il y a beaucoup de vrais montagnards qui sont vraiment amoureux de ces endroits-là car, sans parler de l’Everest, il y a des tas de sommets entre 6 500 m et 8 000 m qui sont extraordinaires.
Avec trois copains, on veut aller là-bas et partir avec trois guides népalais de Katmandou, même si on a peut-être 8 chances sur 10 de ne jamais voir le Makalu. On a envie de partir 2 mois et on a surtout envie de montrer qu’il ne faut pas forcément payer entre 50 000 et 100 000 $ pour aller là-bas et faire un trek, et que porter soi-même sans avoir des porteurs, c’est tout à fait réalisable. Tu vas me dire “tu es bien gentil, tu nous parles de vélo cargo, mais tu prends quatre avions pour aller au Népal et puis tu en reprends quatre pour revenir“. Si ça m’avait été proposé, je n’y serais jamais allé d’ailleurs. Mais si je souhaite y aller c’est parce que cet été, dans les Vosges, j’ai rencontré un guide Népalais responsable d’une agence à Katmandou qui est venu travailler en auberge. L’idée serait d’aller à la rencontre des populations et de les aider directement. Derrière on ramènerait un maximum d’images pour sortir un film qui aurait comme vocation de dire : voilà le voyage qu’on nous propose et voilà comment ces gens-là considèrent leur montagne. »
Lien YouTube du film Hohneck 4808 : https://youtu.be/ja3_9t2orfg
Propos recueillis par Fred Bousseau – ©F. Bousseau / S. Brogniart / G Pierrel
novembre, 2024
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