L’Histoire s’y mêle à l’athlétisme, la mythologie à l’ultra-fond, et la mer à la montagne. En plus d’une galaxie archéologique, le Péloponnèse renferme des trésors naturels à arpenter. Minérale à souhait, sauvage et ciselée, les Taygètes mirent la mer de Messénie et toisent Sparte la grande : une pépite à découvrir d’urgence.
Par Julien Gilleron – Photos JG, VisitGreece, Taygetoschallenge.
Il y a les cours d’histoire de Monsieur Calupet qui barbent. Et il y a l’âge adulte, Zeus merci. Il y a les amphis bourrés en DEUG d’histoire de l’art, à s’endormir avec Madame Roupiot. Et il y a la course à pied : Ευχαριστω, Seigneur. Jamais un monastère orthodoxe n’avait aussi bien accroché la lumière, qu’après 18 kilomètres matinaux. «
Tu sais, ici, on est plutôt sports co’ que running. Le pastoralisme, la montagne à la dure, sèche, belle mais sauvage, d’accord. Parles-moi basket ou foot, par contre, je suis incollable. Tu courras le plus souvent seul, prends ce qu’il faut. Ah et au fait : les sentiers sont parfois peu tracés. En tous cas, jamais balisés. Mais bien marqués, impossible de te louper. Enfin…si tu fais attention. Remarque, le point positif, c’est que tu verras vraiment la mer d’un autre œil ». Kostas a été clair : pour les statues grecques, c’était la première à droite. Ça ne pouvait pas mieux tomber face au short-à-flasques que nous arborons ; et puis on avait tourné à gauche. Kostas, c’est le Père Fourax des Monts Taygètes, ou Taygetos. Barbe hérisson sous regard bleu, peau tannée sous toque noire, alors que le septuagénaire se dit agnostique – catégorie bouffeur de pope. Rarissime voire tabou au pays des 90% de baptisés-pratiquants ou considérés comme. Alors quand le vieux guide nous explique que tout a débuté avec l’évangélisation de « machin chose
de Tarse », et que tel un rot sonore, le calembour sort de nos entrailles : « Méta ? », eh bien Kostas, il se marre.. Ferré, et nous, lancés. On tentera « Bénabar » à la place de Saint Barnabé, mais la barrière de la langue. Revenons à nos brebis. 9h13, mars, 7°C : le Profitis Ilias contemple la mer de Messénie du haut de ses 2407 mètres. Nous avons rendez-vous.
Péloponnèse, l’évidence montagnarde
Ne jamais tirer de plans sur la comète et savoir improviser. Surtout, se souvenir des belles choses, comme dirait l’autre. Un désert de Jordanie nous tendait les bras pour une traversée solo, avant qu’un ubuesque concours de circonstances n’efface le programme. Les belles choses, justement. Souvenir brutal et sans raison, 1998 : «
Tu te souviens du Péloponnèse ? Le genre de voyage que seul un étudiant oserait. 18 ans et autant de galères que de canicule. Tout à pied, des marches de 12 heures mais la foi du charbonnier (de toi, mais en jeune, quoi) ». Ainsi soliloque l’écriveur journaleux avec lui-même. En France, cette fin d’hiver ressemble à un alpage trempé et tiède. Plus de neige, pas encore de fleurs, et un spleen de cul-de-plomb en manque d’air depuis Noel. Mais aussi de pierre et d’Histoire. Une ritournelle de cours magistraux chante alors en mémoire :
époque hellénistique, prytanée, Agamemnon, Thucydide, Cleobis et Biton (sans contrepèterie),
Démosthène et Xénophon. Des noms de médicaments, ça doit être ça.
Antisthène 250mg, non. Maladies honteuses ? Bactriane, Séleucos, été 1994 à La Baule…non. Grèce. Péloponnèse ! Péloponnèse traversé il y a près de 30 ans, et donc forcément redevenu inconnu.
« Le plus simple, viens nous voir chez nous. Ah non, on ne sera pas dans l’Hérault. Chez nous : je veux dire en Grèce ». Quand le métronome Guillon vous invite à le croiser sur place, tout s’éclaire.
De Sparte au massif des Taygètes, la légende athlétique
Et nous voici fin mars entre mer et montagne, sur l’une des sentes les plus discrètes que l’on ait vues. Rocaille sur ocres, μονόκλινο grecs ( « singles »), pied en alerte sur sol technique et mirettes bien ouvertes. « Courable » ? courable. Le dévers s’invite sur quelques bornes de châtaigneraie, l’escalier a été taillé à coup de sabre d’un Dieu colère, et les galets génétiquement modifiés. La chaine des Taygètes forme le genre de crête mirador que l’on adore, de celles qui dorsalisent une péninsule, décuplent la beauté de ses villages côtiers, et constituent un terrain de jeu vaste mais à taille humaine : 50 kilomètres sur 20, nord-sud, Kalamata d’un côté, Sparte de l’autre, et quelques noms chantants tout autour ; on parle de l’Arcadie, la Laconie, la Messénie. La légende raconte même que les furieux Spartiates en balançaient leur progéniture – lorsque jugée non conforme au standard élevé. Du village de Paradeisa jusqu’à l’anse méridionale de Marmari, le massif réunit à peu près tout ; y compris un dédale de routes qui en convertiraient beaucoup au vélo. Nous combinerons, croiserons à loisir, tellement s’y perdre et gravir de la bosse est un enchantement ; de 80 km par-ci à 190 km par-là, l’univers des possibles. «
Si tu cours, tu te dois de faire le « fauteuil » du Profitis. Un : c’est la plus belle trace des Taygètes. Du raide, du sentier pur, et de la crête. Comment vous dites à Chamonix, déjà ? Du gaz. Du gaz tout autour ! Deux : tu vois tout. Sparte à l’est, et même la côte orientale de la baie, à l’ouest. Trois…trois, je ne me souviens plus ». Kostas sèche, j’étudie deux cartes scotchées, et le poissonnier hurle toujours au mégaphone. «
χταπόδι! Chtapodi ! Poulpe ! » Usant, charmant, poilant. Grèce adorée. «
Trois : tu peux partir d’un peu partout ». Ioannis vient d’entrer et a tranché. Alors Kostas s’assied et commande. Trois verres de Tsípouro. Non, deux, merci.
Liberté, Sauvageté, Skyrunning…et fruits de mer
Sept ans maintenant que Ioannis a déserté les flancs de sa montagne pour courir les Taygètes. Et quelle montagne : Mont Olympe, trône de Zeus et spot de bamboche pour Dieux blasés. Sec comme un jambon corse, long comme un avion de chasse, sa coupe afro-roux cache son héllénité. En gros, ce buriné connait tout du coin et y balade régulièrement drone, VTT et ultra-clients triés chez les trailers. «
Coté Messénie, depuis le sentier de Ridomo, superbe avec ses gorges, minéral ; sur les hauteurs de Sparte près des chutes de Manganiari. Kostas, tu lui as parlé de l’extrémité sud, par le chemin de Koufobouni ? Génial : du pur skyrunning, à faire son chemin dans les pierres. Plein sud, rien qu’en enchainant les crêtes, tu peux trotter 12 km facile jusqu’au Profitis. 12 ! Et tu peux en rajouter 8 si tu continues jusqu’à la dernière bosse au-dessus de Kardamyli. Sans compter les approches ». Mine de conseils en poche, l’itinéraire en deviendra cinq, et Kardamyli un camp de base rêvé. Les monastères ponctuent des villages qui ne se dévoilent qu’à pied, ou surgissent au détour d’un chemin, irréels. Up, down, pente et plage, chaque coup de serpe dans la côte ménage sa crique secrète. Entre vélo et course, jamais nous n’aurions pensé « borner » autant en si peu de temps – nous perdre autant, nous retrouver autant, manger autant non plus. Thérapie intensive à dose massive de pieuvre fraiche, jusqu’à ce que Kostas ne lâche : «
Fraiche ? Tu rigoles ? le poissonnier, c’est mon beau-frère. Ne crois jamais les Grecs : on ment très bien ». Mais alors…
En pratique….
S’y rendre : vol Paris/Kalamata ou Paris/Athènes. Voiture ou bus Athènes/Kalamata ou Sparte (2h30<3h30).
Infos :
Bible : Nous les conseillons souvent, mais celui-ci le mérite amplement : l’Office National Hellénique du Tourisme est pratico-pratique, réactif (si), et
sensuellement motivant. Rien d’antique et tout de pédagogique dans
www.visitgreece.gr. Sa consultation soignerait tout rétif à la Grèce ; voire au voyage : de la gastronomie aux cimes en passant par l’embrun culturel, il y a de l’iode mythico-montagnarde dans ses infos. Tiens, saviez-vous qu’aucune partie de Grèce n’est à plus de 137km de la mer. Tremble, Jeu des 1000€…
Explorer :
Sites historiques : Il serait coupable de passer 100% de son temps en montagne – pire, à bronzer. Consacrez au moins 10% (chaque jour) à la découverte des cités mythiques environnantes, et sites archéologiques sans cesse exhumés. Chafouins des vieilles pierres ? Certaines d’entre elles ont écrit l’histoire de (l’ultra) fond, de la course à pied et de l’idéal athlétique. Sparte mérite le détour et la larme d’allégeance à Kouros et Jurek. Si ça vous dit quelque chose, Olympie siège à 120km de Kalamata, sans oublier l’architecture parfois cyclopéenne de Messène, le charme d’Ithomé, ou les légendes de Pylos. Échantillons d’une mémoire Hellène de l’humanité.
Vélo/Gravel :
« J’aime pas la culture ou la pêche aux oursins » (Peyo). Même la rando, et d’abord vous êtes blessés. Aucun problème : tortillards et raidillons poétiques vous tendent les bras, version Petite Reine et petit paradis cyclo. Kalamata-Sparte via Karveli, Lada puis la D82 ? une ode à la grecquitude que vous ne connaissiez pas. Des chapelets de bourgs et du virage-plaisir, où la courbe de niveau se fait mirador. On s’arrête souvent. Pour regarder. Variantes retour via Nedouza/Maxalas/Neochori, ou très long trip via Sparte puis Kardamyli…soit le sublime tour des Taygetos. Costaud, et sans parler de la côte est. Pour la bouille, le sourire, et la location de vélo : demandez Mike chez l’institution The Basement Bike, Kalamata.
www.basement-store.gr.
Outdoor : « 2407m », une altitude et l’adresse outdoor incontournable. 2407m Outdoor Activités, c’est l’échoppe-guidage-boutique-loc’ des fous de plein air à 100km à la ronde. Yannis et Sofia savent à peu près tout de leur massif, du matos, et même du trail. Normal : le couple tient les platines du Taygetos Challenge depuis 2014.
www.2407m.com
Y performer :
Courrez dans les pas d’Orhippos de Mégare (dit « Mal Vêtux »), Léonidas de Rhodes (« Chaud Kakaos »), Crison d’Himère, Oebotas de Dymes ou Corèbe d’Elis, le meilleur d’entre nous (carrément). Comme eux, ces compétitions pourraient faire de vous des dieux du stade. Tout habillés.
La légende : Yannis Kouros en fit son pré carré entre 1983 et 1990 (20h25, record inégalé). À part Sorokin et Jurek, une foule d’ultra-brutes peu connues y ont décroché la victoire. Alors pourquoi ne pas tenter ? Pour le voyage, pour dire «
j’y étais » ou comme Herbert Léonard, le Spartathlon vit depuis 37 éditions. 246km sur la trace de Phidippidès.
www.spartathlon.gr/en
La course à Antoine : ambiance Spartathlon mais pour débuter, 100% route et à profil montant ? Antoine Guillon nous confiait son plaisir de trailer à retrouver une foulée de runner, sur l’Athanaton Dromos. 142K/1700+ de course modeste et authentique, déployant une sacrée logistique et un public de passionnés. Aussi engageante qu’engagée.
www.athanatoi.gr
La puriste (l’autre course à Antoine) : Taygetos Challenge, l’évènement course en montagne de cette partie du Péloponnèse. Du sentier à flanc de rocher, du single dans tous les sens, et du sauvage complet. Panoramique, archi-technique et touristique tant le tracé traverse de fabuleux villages. Bonus : sur le 37K qui en parait 45, un parfum de Barkley et deux rivières asséchées. Et le plus court KV d’Europe. Et la victoire d’un certain Guillon en voisin cette année. Et voilà. (KV/5K/10K/20K/37K – 26/03/2023 –
www.taygetoschallenge.com )
Se loger :
Calme, volupté, mais sans bling-bling : Akti Taygetos Conference Resort, de l’espace et encore de l’espace. Ne point craindre le
Conference et le
Resort, tant la tranquillité de l’hôtel s’associe à un rapport qualité/prix extrêmement correct, et à un emplacement idéal : 15’ en voiture de Kalamata-centre (intérêt très moyen) ou plage, 10’ des plus fameux bouis-bouis de criques (baie de Kitries)…et 1’30’’ de la route aux merveilles vers Kardamyli.
Planque dorée entre mer et D+ : On peut être luxe, soie, romantisme, silence, dolce vita (γλυκιά ζωή), et trailer en huaraches. Soyons œcuméniques. Et n’exagérons rien : le Lithos Guesthouse de Kardamyli n’est pas un palace, juste un nid que l’on garderait bien rien que pour soi. 4 appartements avec cuisine et le choix entre vue sur cette pépite de village, et départ vers les sommets. Autre option : suivre le Taygetos Challenge qui passe devant la porte en mars, ou la jouer pétanque à faire se retourner Salvador et Barclay dans leur tombe blanche.
Standing, thalasso, Mandarin Oriental…et préservation de la faune sauvage ? pour les budgets bien garnis, la région de Costa Navarino continue son développement tout en veillant à la sauvegarde des écosystèmes. Vaste programme. La Saint Valentin, pas si échue que ça, en fait ? A découvrir via le
www.navarinochallenge.com, en octobre.
novembre, 2024
type d'évènement:
Tous
Emplacement de l'événement:
Tous
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