La Norvège de Stian Angermund

C’est un labyrinthe d’eau et de terre. Ici, les sommets dévalent jusqu’au fond des fjords, et le D+ est symétrique. De ces corridors on peut s’élever à pied, et la Norvège devient vertigineuse. Encore faut-il trouver le guide : qui mieux que M. Stian Angermund en terre viking ? Nous l’avons suivi. Echappée bønux dans sa Norvège intime.  

Par Julien Gilleron – Crédits photos ©JulienGilleron, @visitnorway, @StatensVegvesen, @Spring.no

  Il y a des rendez-vous bénis. Catégorie « trop compliqués », rayon des prochaines fois. De ceux que l’on rêve en douce, le nez sur deux bottins : un atlas de l’Europe, et la bio d’un athlète. A ma gauche, le sirop du monde et sa poésie du pas-si-loin-tellement-neuf. A ma droite, l’histoire en marche d’un des coureurs les plus forts de sa génération. Coureur en montagne, s’il vous plait : car depuis les airs, les collines de Bergen m’expliquent le truc. Comment n’y avais-je pas pensé ? Evidemment que c’est une terre de bosses, et la ville abrite le meilleur grimpeur-dégringoleur du monde. Bergen la Viking moutonne ses 7 collines, petits monts à gros raidillons, et charme autant qu’elle est discrète. Ulriken, Fløyen ou Lyderhorn, qui sait vraiment s’il y a 7, 10 ou davantage de crêtes. Des ferries ont remplacé les drakkars, et les boiseries du vieux port ne planquent plus un seul barbare. Un quant à soi nordique enveloppe avec douceur les « bonjours » : j’aime ça. Ni trop collant, ni trop lointain, humanité tranquille et observatrice pas farouche. Et ce son. Et cette graphie. J’en suis certain, un bout d’antipode vit ici : tout un tas de lettres inconnues, ça ne trompe pas – même à 3h de vol. C’est décidé : nous sommes loin. Et dire qu’aux oreilles british du VIIIe siècle, la beauté du vieux norrois ne sonnait pas. (Certes, on est moins musicien quand on combat l’envahisseur blond). Or ce matin, dans l’un des pays les plus civilisés du monde, l’envahisseur, c’est moi. Nous avons rendez-vous. Lui ? Dernier immeuble là-haut. Limite forêt, pied du téléphérique. A 36 ans, l’homme est toujours resté fidèle à son club de Varegg. Chamonix ? Dolomyths, Mondial, Golden Trail. Zegama. Mais Varegg au cœur. M. Hovind-Angermund vit ici, et Stian est un garçon fidèle.

Bergen et sa région : Infinie et serpentant, mais surtout  diablement « courable ».  

Mais d’abord, vérifier ses sources. Validé : la Norvège masterise la torréfaction. Moka sifflé, j’attaque le IXe siècle et la prononciation du Å, et poursuis mon singletrack rêveur d’apprenti globe-trotteur. Chapitre 1, la carte et le territoire. Parmi les 1000 fjords que compte la Norvège, Bergen ouvre la porte ouest d’un des 5 plus somptueux, le Hardangerfjord. Mon guide-coureur aime sa terre, peine à rassembler toutes ses traces favorites, mais a constitué un sac de pépites : condensé de coups de cœur, off/on, entrainements à 200%FCMax ou longues sorties panoramiques. Mais aussi des compétitions qui l’ont marqué, ultra-petites, archi-techniques, saucissonnantes ou proposant même du gros rock (SIC). Il est comme ça, Stian ; et ainsi va sa course à la norvégienne. Un chapelet de souvenirs, un herbier soigné et un engagement intact près de 10 ans après ses débuts. D’une escapade à 45’ de voiture (on roule doucement en Norvège), nous azimuterons jusqu’à toucher le Nærøyfjorden à seulement 150 km, puis revenir au long du mythique Sognefjord : une paille. Un saut boulimique en foulée et en vues, tout un tas de miradors sur un gros timbre-poste, gavé de points de fuite. Froide, cette Norvège au printemps désormais si chaud ? Dédale s’y perdrait comme un bleu. In-fi-nie et serpentant, mais surtout : diablement « courable ».  Bergen en tête, car c’est une découverte d’apercevoir ses reliefs surplombants. Hier, la carte n’évoquait qu’un entrelacs d’archipels flous – au retour, penser à apprendre à lire une carte. Dimanche matin, promeneurs et familles partent à l’assaut des monts périphériques. L’art du détail norvégien se lit au sol, du petit pont de bois-aux-rondins-de-bois-vert, jusqu’aux sentiers et leurs mousses précises. Bambi n’est pas loin et Yves Duteil jaloux. Impossible de croire qu’elle est la 2e cité du pays lorsqu’en 30 minutes de raide, on se retrouve entre une hêtraie et cette bosse étrange qui parait s’aplanir. Oui, c’est bien ça : alors que surgissent cairns et antennes ; un horizon de lande vient de se dévoiler au-dessus de Bergen. Highlands lointains, courbes et bruyères, et voilà qu’une fois de plus le celte rapplique. Mais la vue qui s’étire souffle son vent de possibles, connecte des collines qui replongent vers le port, et l’imagination chuchote : « c’est ici qu’il vient courir ». Le bruit m’interrompt. Stian Angermund-Vik me fait gjøk du balcon. Coucou, quoi.

 

Le trail running est ici marginal, dominé par la course en montagne

« It’s awesome. It’s awesome that you’re here. And we’re together (*) ». Et je découvre l’abrazo nordique. Par Odin, Michèle, Thor et Alba (Thor) : intensité heureuse. Seuil ventilatoire de la joie. Après tout, on peut se taire, de ces instants de réel brut qui font suite à des mois de virtuel. Qui de nous deux est le plus incrédule ou le plus euphorique ? Le premier qui rompt le charme a perdu. Nous tiendrons le fil de cette rencontre parmi les rares, au-delà des idiomes, lorsque la communication passe à l’instinct – avec un credo journalistique permanent : surtout, surtout essayer de ne pas se la jouer. Ecouter, et ne pas tomber dans le panneau du moi aussi je connais le trail. Parce qu’en plus de promener une humilité et un altruisme rares, Monsieur Hovind-Angermund (**) a ses casseroles. Toute une batterie dorée à la feuille du skyrunning mondial, ou autres Golden dont il est leader actuel. De jour en jour et causeries ondulantes, nous découvrons que le trailrunning est ici marginal. Comme dans d’autres pays à reliefs, la course en montagne préexistait ; mais prédomine toujours. Skyraces ou montées sèches, les épreuves ne sont pas les plus anciennes mais foisonnent, la légendaire Skåla Opp cessera en 2022 après 20 ans de palmarès lactiques. La Norvège n’a pas fourni que des biathlètes ou curleurs – il n’y a qu’à lorgner les rankings coureurs. En revanche, on y aime autant l’intensité que la discrétion. Courir dévoué, vivre à fond le dimanche, et renvoyer l’ascenseur bénévole…Notre hôte pratique ainsi. Emanation du hygge (***) nordique ? Et voilà que l’on retombe en clichés : nous finissions juste la montée de l’Oksen. Incorrigibles, alors que s’ouvre l’un des meilleurs panoramas sur le Hardangerfjord.

 

La montagne toute aux coureurs pendant la morte saison

Avec ses 1241m et sa rondeur, le mont Oksen fait partie des croupes fauteuils. Inutile de prétendre, jamais nous n’aurions pensé y venir : seul un Stian le pouvait. Car à portée de main, sans démesure hermétique, on contemple l’axe entier du Hardangerfjord, véritable verger Norvégien. Petite boucle (7K) et bon D+ roulant, il y a de l’archipel, un soupçon de maritime et un trait de Serre-Ponçon – blasphème légal. L’eau a grimpé Belledonne, ou acéré le Haut-Cantal. Cabanes rouges, toits de chaume et forêts épaisses, les granits brillent et expulsent leurs derniers névés : c’est le sud. Moyenne montagne œcuménique quand elle le décide, fermée 7 mois par an quand elle a froid. L’œil s’attarde alors qu’avril achève la morte saison, réservant encore un peu la montagne pour quelques coureurs. « Nous, on a toujours hâte de revoir du monde ; même si c’est une majorité de touristes. A partir de mi-mai, ça repartira à plein ». Ainsi sourit Ida qui rouvre son hôtel. « Même si la Reine des Neiges, ça n’est pas vraiment ici. Vous pourriez passer le message ? ». Ida a la couette joyeuse. Mais brune. Car ils sont légion les clichetons ! L’occasion d’un point route : Vatanen est finlandais et Ikea suédois. 5 jours durant, Stian et moi-même ne croisons qu’un grand blond. Sans patins ni balai. Niels Holgersson ? envolé à dos d’oie, retour en Suède. Même pas un tube de Neutrogena à l’hôtel ; quant aux trolls des 1.bois 2.montagnes 3.forêts, alors là merci pour la taxonomie mais zéro. Par précaution, j’avais quand même relu tout mon Thorgal. Cet instantané de l’étrange étranger nous fait hurler de rire, sur la route de la prochaine échappée : Lofthus à 45km, départ du Dronningstien, ou Queen Sonja’s trail. Il parait que ça vaut le coup – litote du guide.

De fjord en fjord et de colline en colline

Et la promesse est tenue, jusqu’au terminus de Kinsarvik. Ce sont 17 kilomètres boisés et engagés qui permettent de mirer deux parcs nationaux (Folgefonna, Hardangervidda), et l’embranchement de 3 fjords (Hardanger, Sørfjorden, Eid Fjord). Lacs, monastère et variété, chacun son luxe, calme, etcetera. Et seul notre essoufflement ponctue le paysage. Silence des pas, entre-frottements des branches, la phrase du suiveur au suivi est souvent courte. Résumée, densifiée. On écoute l’autre reprendre respiration. On patiente, en savourant l’aération d’une conversation qui ne déverse pas, n’écrabouille pas. Civilité soft de coureurs qui devisent, ces petits mots trottés m’apparaitront toujours comme une élégance heureuse. Et si la Reine Sonja aimait tant la place, elle doit encore envoyer du bois à 84 printemps. Au retour, penser à en parler à Olmo. En attendant, la finishline sans enjeu s’est transformée en café-philo. « Écouter le regard. J’aime bien cette expression ». Tout à fait d’accord, Stian, taisons-nous, et pensons à demain. Nous prendrons la route de l’Aurlandsdalen et le menu enchante : toucher l’étroit Aurlandsfjord, extrémité du légendaire Sognefjord. Le doigt d’Adam vers Dieu. Chacun sa Sixtine, la nôtre prévoit 20km de trail entre Nesbø et Vassbygdi, sabrés entre deux massifs. Là où les tunneliers ne passent pas, la monotrace chante. Tout de même, ces barbares qui percent les O d’une flèche. Nous en avons croisé un fort gentleman, et voici que 7 collines nous rappellent au réel. Pause Bergen, avant un ultime tour d’aurevoir. La Course des 7 Collines s’y déroule depuis des années. Un petit club historique, une poignée de volontaires, café, épingles à nourrice : la date attire dans toute la Norvège et son parcours change régulièrement. Stian Angermund tenait à grimper ensemble au-dessus de chez lui. A moins de 470m de haut, la vue raconte son quotidien 16/9. Les mots sont rares, et pleins comme il se doit. Il suffirait de filer dans ces Highlands sommitaux, mais on verra plus tard. Highlands, encore et toujours. Tiens donc : « la chaîne Calédonienne (…) comprend les montagnes de Norvège (…) (et) d’Ecosse… »  (***).   (*) « C’est dingue que tu sois ici. Incroyable. Et que nous soyons ensemble. » (**) Patronyme originel. (***) On évoque souvent le modèle danois, on l’élargit (très) souvent aux voisins nordiques, et on l’identifie au hygge : positivisme et art des mini-bonheurs quotidiens. Entre micro-sérénité pour macro-bien-être, et home sweet home du vivre ensemble. (****) in Wikipédia.   INFOS TECHNIQUES  
  • S’y rendre: vols réguliers pour Bergen, Oslo ou Tromso au départ des grandes villes.
  • Explorer:
  • Infos : 4 gisements inratables, pour tout savoir de ce pays aurifère en grands espaces. Souvent distincts – merci Dame Nature. Plus que l’Office du Tourisme national, compulsez celui des fjords (fjordnorway.com), aussi vaste que varié. Pour les routards, fans de virages ou amateurs de km, Norwegian Scenic Routes réunit portfolios et infos sur 18 roadtrips Norvégiens (www.nasjonaleturistveger.no/en/). « L’ IGN » Norvégien est incontournable, pour qui goute les cartes de chevets (www.kartverkert.no/en/). Enfin, mention spéciale à Nordge: la française, son équipe franco-norvégienne et leur appli carto, constituent l’interlocuteur multitool idoine (contact@nordge.fr)
  • Séjours nature : Spring s’appuie sur l’outdoor pour découvrir tous les plaisirs de la Norvège : fjords, cuisine, culture. Existe en version romanti-cosy pour trailers en quête de confort. Un vrai must et beaucoup de trucs en bois, du métier en prime. spring.no
  • Stages: la grande skyrunneuse Katrine Villumsen et son mari – un certain Stian Angermund – organisent un stage destiné aux…jeunes. Objectif : « nordic skyrunning », la messe est dite ! Mais le message centré sur les 15-22 ans, est porteur et atypique. On ne forme pas des compétiteurs, on apprend à écouter ses sensations pour optimiser son plaisir. Mieux qu’un séjour linguistique, pour juniors ou pour vous ; changez d’état civil. +47 479 03 219, Nordicskyrunning@gmail.com
  • Y découvrir (à l’Angermund)
  • Verticalitude : KV, montées sèches ou courtes divines ? Lancez-vous sur les classiques : La Sportiva Skåla Opp (dernière édition / 8.2K/1819+ / 13.8.22), Storehaugen Opp (3.7K/908+ / 26.5.22 / Stian adore), ou Breidablik Opp (5.6K/1000+ / 2.7.22). Gagné : Opp, ça veut dire montée.
  • Golden : la Stranda Fjord Race fera passer la Golden Trail World Series 2022 par le pays des Trolls (12/25/48/100K – 5&6.8.22).
  • S’y restaurer:
  • Hauts plafonds sans le snob : Nik et sa bande ont réussi. Associer de l’espace, de la classe, des canapés mous, du stuc et des flacons de partout. Cidres, vins, blanc, rouge, on a tendance à attraper la bouteille posée là. Qui n’est pas à nous. Foncez au Tempo Tempo (Domkirkegaten 6A).
  • Afrique Viking: la table nationale réunit les meilleurs produits (poisson, gibier…) mais est aussi riche qu’onéreuse. Et si vous préfériez l’Ethiopie ? Bergen fourmille de tables, parmi lesquelles Lucy Og Café (Marken, 11). Service parfois ultra (long) mais doro wot et chiro nordico-simiens, tarif imbattable.
  • S’y loger:
  • Si belle, mais si chère Norvège ! Longtemps creusée, mais peu solutionnée, la meilleure option hotellière à Bergen demeure l’immense auberge de jeunesse City Hostel Bergen. Total-centrale, impeccable et imbattable. Et même des chambres. Juste à côté, le Victoria propose des concerts jazz aussi impromptus et cosy que dans le salon de tonton Patrick – un must à faire, pour rencontrer la quadri-quinquagénération joyeuse de Bergen.
  • S’y cultiver :
  • Lire : le frisson sous toutes ses déclinaisons ? il n’y a pas que la caillante nationale. Cérébral : osez le théâtre d’Ibsen, pas si ardu, allons donc. Viscéral : tremblez joyeusement grâce aux polars de Jo Nesbø ou Ellen Simensen. Pictural : Edvard Munch, ce n’est pas qu’un cri ou le masque de Scream. Son musée de Bergen en témoigne.
  • Voir : Oui, le cliché est tenace. La Norvège en film, c’est un Viking sous stéroïde ou de l’ennui en bååå Mais hormis The Northman (2022), Kirk Douglas portait fier la jupette (Les Vikings, 1958), et The Troll Hunter (2010) sent bon le Blair Witch nordique.
  • Ecouter : qui dit Norvège dit métal, dit électro, dit notamment Bergen et sa scène mondialement connue. Ragnarök ou Aegir pour faire saigner les amplis, Todd Terje ou Röyksopp pour faire remuer les booty. Par exemple.
   

décembre, 2024

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