🎙️Interview – Manu Meyssat – La course, le cross, la vie !🎙️

Manu Meyssat

Manu Meyssat, c’est 1999-2024, le drapeau ardéchois et les pointes. C’est cross, KV, montagne et trail. Fromage, dessert et pousse ? La France, l’Europe et le monde. À 19 ans, l’anguille de 55 kilos fait sonner la Marseillaise à côté des Gasperi et Wyatt. 24 ans et 5 titres nationaux plus tard, l’égérie Terre-de-Running-Saint-Etienne est top 15 des mondiaux, couvert de boue 3 mois par an, et gagnait encore un cross à Noël. Ça tombe bien : la saison est lancée, et une discrétion solide comme son palmarès, ça nous attire forcément. Petit gabarit, grand témoin, Épiphanie !

Recueilli par Julien Gilleron

Kinabalu, 19.09.1999 : pour du neuf, c’est du neuf avec ce junior qui termine 6e et meilleur Français du Trophée Mondial de Course en Montagne. D’où sort-il, cet Emmanuel Meyssat ?

MM : Eh bien déjà, c’est un lycéen qui repique son bac Électrotechnique ! Je vis chez mes parents et tourne dans un club de 70 licenciés à Annonay ; je m’entraine sérieusement depuis peu de temps, 5 fois par semaine, car ayant débuté jeune mais sans être ultra-mordu. Là, ça commence à me parler. Un an avant, les championnats de France de course en montagne près de chez moi m’avaient mis le pied à l’étrier : avec mon gabarit de poche, je compensais mes grosses lacunes de vitesse, et je n’étais pas passé loin de la sélection. 1999, Trophée Mondial ? Je décide de tout miser là-dessus pour ma 2e saison junior et je m’y mets à 200% : beaucoup de vélo, de la bosse, et d’innombrables recos de l’ancien parcours des France pour faire du D+, 700 ou 800 mètres d’une traite. J’arrive en Malaisie avec mes chronos anecdotiques, et je tombe sur des pointures tels que Nordine Ghezielle, Kevin Paulsen, des types qui tournaient sur piste en équipe de France ! Et je réussis à tirer mon épingle du jeu dans les deux derniers kilomètres sur une montée sèche, en rattrapant tous les cadors partis comme des avions. Ce jour-là, j’ai vraiment savouré ma première sélection, au sein d’une sacrée belle équipe. On était partis deux semaines en préparation à La Réunion, c’était le rêve…Et puis je m’étais tellement mis la pression pour atteindre cette sélection que je suis arrivé en Malaisie vraiment libéré. 4e français, puis 1er, une super course et le résultat collectif au final, que du bonus. Moi qui avant me stressait énormément, ça m’a beaucoup décomplexé pour la suite de ma carrière !

Manu Meyssat
Manu Meyssat et Julien Rancon – Credit (C)FFA/Larry Shooting

Cette carrière, elle est imprimée par le cross. Pourquoi restes-tu mordu : quelle adrénaline ? Un effort qui te convient – de mieux en mieux ?

MM : Soyons honnêtes : même si maintenant je cours plus vite, je partais de loin ! Le terrain du cross me permettait de compenser déjà un peu ce manque de vitesse. La discipline nivelle relativement les niveaux : j’ai fait des saisons de cross court où je rivalisais avec des gars valant 3’40 au 1500m, alors que mon record plafonne à 4’07. Ils me mettent 30 secondes sur piste ! Et je parvenais à être plus rapide sur un cross de 4 bornes, face à des coureurs qui dépassent totalement mon niveau. Par exemple, finir 4e aux France de cross court en 2018, alors que je vise l’Ecotrail que je remporte 6 jours après, c’est complètement improbable et ça en dit long ! Ce terrain si spécial, j’adore, surtout lorsque c’est le plus sale possible (rires). Au final, c’est la discipline sur laquelle j’arrive le plus à me rentrer dedans et pour un plaisir décuplé. En-dehors des mois de préparation pour la SaintéLyon, je ne conçois pas de saison sans ; je cible donc essentiellement les championnats, soit 3 ou 4 compétitions. J’en ai même rajouté un ou deux cette année car j’ai shunté la Sainté’.

Ce cross fait-il encore des champions âgés, ou constates-tu un rajeunissement de la discipline ?

MM : Un peu des deux, je dirais. En senior, je vois des jeunes qui éclosent très, très tôt : des Baptiste Fourmont, Jimmy Gressier, Manon Trapp, affichent un niveau incroyable dès la vingtaine, et tu sens qu’une génération est déjà là alors qu’auparavant, les performeurs en cross approchaient plutôt la trentaine. Lorsque je cours dans les années 2000, un Mustapha Essaïd est de 1970 et les leaders ont de la bouteille. Or, je constate une vraie puissance des 20-25 ans, et ce d’entrée de jeu. D’un autre côté, je vois assez peu d’athlètes qui ont duré et surtout, un niveau qui se relève complètement en master avec des pelotons extrêmement garnis. Ex-sportifs qui ont fait une pause de par les contraintes de la vie (enfants, carrière) et qui s’y remettent à fond à 30 ou 35 ans ? Je pense également que le facteur usure joue, et les charges d’entrainement que s’enfilent les plus jeunes champions m’impressionne – et me laisse songeur. Les applications communautaires, leurs sessions publiées sur les réseaux…l’émulation frôle la course à la borne : certains en sont à 140 km par semaine à 20 ans à peine ; même des ultra trailers n’en sont pas là ! Je me rends compte que mon entrainement a toujours été assez light sauf quelques blocs ciblés. En fait, je suis même performant avec moins de volume et risquerais de me blesser au-delà. Certes, ne jamais avoir vécu de mon sport m’a sans doute préservé, mais je reste épaté par ce que signifie claquer 8’00 au 3000m pour un jeune athlète. En termes d’implication et de sollicitation physiologique, c’est réellement énorme !

Manu Meyssat

Blessure, vélo et changement nutritionnel…On parle souvent de ton cap de 2014-2016 pour expliquer ta capacité d’adaptation, et ta longévité. Un état d’esprit permanent, ou une révolution ponctuelle ? 

MM : (rires)…en effet, je l’ai souvent entendu, « la résurrection » ; beaucoup de gens semblaient même me découvrir lorsque j’ai gagné la Saintélyon en 2016 ! Mais la discrétion me va bien, et le trail bouge tellement ! J’en ai toujours fait, mais davantage au fil des années, par utilité (blessures) mais en découvrant que son apport s’avérait important : plus de puissance, de solidité ascensionnelle. Est-ce que ça fait la différence sur le plat d’une SaintéLyon ? Pas sûr, mais sur des montées sèches en montagne, oui. À la base, c’est cette compétition qui a impulsé plusieurs de mes recherches d’adaptations – je m’entraine seul. La Sainté’, je m’y cassais souvent les dents : j’étais un coureur de court, et au fonctionnement hyperglucidique. Je m’écroulais rapidement passées les 2h30, et les tests en labo m’ont confirmé ma consommation excessive de glucides. Au sein du team Asics, j’échangeais beaucoup avec Thomas Lorblanchet, qui avait déjà impulsé ce changement et voyait ses performances s’améliorer. J’ai commencé à réduire (et brutalement. Bonjour le coup de pompe après 3 semaines !) mes rations mais sans vouloir me mettre aux entrainements longs à faible intensité ; Thomas avait pris 2 ou 3 ans pour ajuster sa nutrition, ça me semblait impossible d’attendre ainsi. J’ai donc travaillé la chrono nutrition en n’apportant plus de glucides qu’une fois par jour au diner… Et en 2 mois, je voyais déjà les effets. La SaintéLyon a suivi…Je suis devenu plus endurant et récupère bien mieux, car je m’épuise moins. Passer de 2h30 dans le dur à 5h30 sans hypoglycémie, on peut parler de petite révolution. Et c’est tout aussi étonnant sur effort court : tu ne subis plus cet ultime coup de barre sur le dernier quart d’heure.

Une séparation semble perdurer entre deux mondes athlétiques : celui des coureurs en montagne – souvent crosseux et amateurs de formats courts/verticaux, -et celui des trailers, favorables au long et au D+. Le ressens-tu à travers ton parcours ?

MM : Oui, clairement. Plus on s’oriente vers des formats longs et alpins, plus c’est difficile voire incompatible de gérer la diversité sur une saison. Jusqu’aux marathons, 40 ou 50K, ça peut passer ; personnellement j’arrive encore à atteindre un 70 ou un 80K mais au dénivelé réduit. Mais il devient compliqué de préparer une course longue et montagnarde efficacement en un mois et demi, tout en se préservant. Dans mon cas, il m’est arrivé de courir les mondiaux en septembre, de couper un peu, avant de rattaquer une vraie prépa SaintéLyon sur deux mois…mais je finissais vidé. À un moment donné, les spécificités d’une course imposent de s’y entrainer sur un temps long. Mixer avec des cross, du court explosif…pas simple. J’ai beau m’estimer plutôt polyvalent, je suis convaincu que je resterais limité si je voulais franchir le cap.

Manu Meyssat
(C)FFA/Larry Shooting

Quels athlètes actuels considérerais-tu capable de le faire ?

MM : Tu parlais de mon jumeau, Julien (NDLR : Rancon) ! 1,71m, 56kg et le même âge…et un morphotype identique : on est trop légers, donc avec toute mon amitié, non. Quand je vois les rapports poids/puissance des meilleurs coureurs d’ultra, la photo est claire : il faut du muscle, de la cuisse, ils sont trapus et musculeux. C’est indispensable pour encaisser ce type d’effort, ne serait-ce qu’un 80K très alpin. Même Sylvain (NDLR : Cachard), pourtant l’un de nos meilleurs athlètes en montagne, je pense qu’il ne passerait pas. Un Thomas Cardin, sans doute davantage car il est plus costaud – pas forcément sur un 100M, mais on sait qu’il vise la CCC. Je pense qu’il a de belles chances. Même avec des valeurs physiologiques démesurées, un coureur trop longiligne aura beau s’entrainer dur, la transition me semble impossible.

Étant donnée ton expérience, n’as-tu jamais envisagé d’encadrer une sélection : trop tôt, pas dans le rôle, ou plus à l’aise pour transmettre comme co-équipier ?

MM : La transmission reste importante pour moi, mais à hauteur de mon entourage ou via le peu de coaching que je pratiquais encore récemment – cela devenait compliqué en termes de volume, mais j’aime conserver cette pratique au niveau des clubs. J’entrainais à Tassin, je reprends un groupe du team Coquelicot 42 au printemps, etc. Après, je t’avoue que le niveau fédéral ne me séduit a priori…pas beaucoup. J’y perçois trop de brides et de hiérarchies imbriquées. Et puis je suis « vieux » ! J’ai donc suivi son fonctionnement depuis 1999, et on en espère chaque année des évolutions, sans grand effet. Rien à voir avec l’engagement et le dévouement des coachs, mais ça va coincer sur le budget, sur ci, sur cela…allez, restons local.

À l’aube de passer Master 2, comptes-tu innover dans ta préparation et tes objectifs 2024 ?

MM : Pas de révolution profonde, ni d’azimut encore très défini ! Pour le court terme, après la saison de cross, je vais tenter les sélections pour les championnats d’Europe de course en montagne sur format montée sèche. Les deux se déroulent en France à un mois d’écart (NDLR : 28 avril, Briançon / 30 mai, Annecy), ça m’occupera suffisamment le premier semestre. Je suis resté sur une logique d’effort court, notamment en zappant la SaintéLyon et augmentant le cross, et j’aimerais être performant sur des formats de 30’ à 60’. Ça m’a permis de battre mon record sur 10K fin 2023, ça fait plaisir et ça solidifie aussi mentalement. Je ne figerai rien et adapterai de nouveau ma préparation aux sensations ; j’ai déjà rajouté de la pliométrie suite à ma blessure à la hanche : j’en avais eu besoin pour stabiliser mon bassin, et je l’ai finalement gardée car j’ai apprécié son apport. Évoluer…on va tenter de continuer !

avril, 2024

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