Ce week-end, nous avons croisé Xavier Thévenard à l’occasion de l’Ultra XT 01, la course qui porte son nom (ses initiales, plus précisément), et qui emmène les coureurs sur les chemins de son enfance et adolescence, dans les montagnes du Haut Bugey. Une course où la liberté et la notion de responsabilité prime ; des idées chères au triple vainqueur de l’UTMB, qui a souhaité proposer un Ultra tel qu’il aimerait en courir plus souvent…. Magnéto.
- Tu es directeur de course sur cet ultra, qu’est ce que le fait d’être toi-même coureur d’ultra change par rapport à un directeur qui n’est pas forcément athlète de haut niveau comme toi ?
Je ne me considère pas comme un directeur de course au sens strict du terme. C’est le travail d’une équipe avec Laurent Ardito, Alexandre Picquier, Maxime Ardito et tous les autres. J’apporte surtout mon image pour valoriser le territoire du Haut Bugey. Mon principal rôle était plutôt du côté du parcours qui relie mes principaux spots d’entrainement favoris, le plateau de Retord, les plans d’Hotonnes. C’est là où j’ai vécu toute mon enfance, c’est là que j’ai forgé mon endurance. Les chemins que les traileurs ont emprunté, je les connais par cœur. Tout le secteur de Nantua où je suis né, le Poizat et la Pesse qui rappellent le plateau de Retord, pas très technique, plutôt roulant, ce qui en fait une des principales difficultés d’ailleurs parce qu’il faut relancer tout le temps. On ne peut pas profiter d’un changement de rythme comme dans les Alpes. Si tu commences à marcher sur le plat… le temps va être très long ! Les barrières horaires sont plutôt adaptées, ni trop dures, ni trop larges, l’idée n’est vraiment pas d’avoir le minimum de finishers mais bien l’inverse.
- La notion de pacer est souvent obscure pour les Français, pourquoi l’avoir importée en France ?
Pour nous, c’était logique, pourquoi se priver de ça ? C’est déjà suffisamment dur, un ultra, on sait que l’on va souffrir. Aujourd’hui l’ultra est synonyme de règles, de matériel obligatoire souvent cher… On court avec un copain, on se fait sanctionner, on boit un verre offert par un copain, on se fait sanctionner. J’ai un peu le sentiment que le règlement doit être le plus important possible pour donner le sentiment que la course a de l’importance… Alors que moi je veux juste une course où on prend un max de plaisir possible avec ses amis, sa famille. Ça rend le truc un peu moins dur même si soyons lucide, courir 165km, ça reste et ça restera un sacré challenge.
- Mais n’oublie pas que la notion de matériel obligatoire n’a pas été mise en place pour pénaliser les élites mais pour protéger le peloton qui n’est pas forcément toujours conscient de là où il va poser ses chaussures de trail.
Ok mais normalement pour ce type d’ultra tu te prépares, tu dois anticiper la météo qui sera forcément variable. Normalement, tu dois connaître un minimum ton allure en fonction du dénivelé. C’est à toi d’être prêt, pas à l’organisation de tout prévoir.
- Je suis d’accord avec toi parce qu’en tant qu’ultra traileuse, j’ai toujours sur moi ce qu’il faut au cas où mais il suffit de demander au staff médical de l’UTMB pour ne citer que cette course et tu auras des histoires d’hypothermie sur des traileurs qui pourtant avaient parfois la bonne veste dans le sac.
Alors cela veut dire que les critères de sélection ne sont pas assez sélectifs ou alors que finalement le règlement n’est pas assez bien fait. Pourquoi ne pas aller au bout du raisonnement en imposant ou conseillant aux personnes les moins expérimentées en montagne et qui auraient eu comme toi des points grâce à des courses type désert et laisser ceux qui ont l’habitude gérer leur matériel comme ils le souhaitent parce qu’ils savent, se connaissent et connaissent la montagne. L’histoire d’égalité entre les élites et le peloton n’a pas vraiment de sens… Déjà parce que par la force des choses, la météo peut varier même entre les élites. Je n’ai pas eu de neige au Mont Fudji, Sissi en a eu. Et puis allons encore plus loin : par la force des choses je vais passer moins de temps sur le chemin qu’un coureur qui finit dans les derniers, ce qui sous-entend aussi que je vais avoir moins de besoin en alimentation, barres et autres. On fait quoi alors ? Par souci d’équité entre tous les membres du peloton, on impose aux premiers d’avoir dans leur sac la même quantité de nourriture pour 45 heures de course alors qu’on va mettre 20h ? Mieux encore si la météo est clémente pour les premiers mais annoncée pluvieuse pour les derniers, on nous impose des douches pour que nous aussi on soit mouillé ? Il ne faut pas rêver, un ultra ne sera jamais équitable.
- Alors allons plus loin dans le raisonnement, la solution n’était-elle pas d’accepter un jour qu’il y ait des courses réservées aux élites et des courses réservées aux amateurs ? Après tout, un joueur de tennis amateur ne peut pas participer à Roland Garros.
Sincèrement je suis plus pour que les ultras évoluent dans le sens que l’on a donné à notre Ultra 01XT plutôt qu’à nous séparer comme ça. Tu crois vraiment que ça va changer ma course si un traileur qui est à la fin du peloton alors que la pluie arrive se voit filer une veste par son accompagnateur sur le parcours ? On argumente aussi la sécurité alors que ce n’est même pas forcément le cas. En 2015, sur le parcours de l’UTMB, on a tous souffert de la chaleur. Je me suis contenté de prendre de l’eau dans les rivières alors que des spectateurs me proposaient de me rafraîchir. J’avais conscience que je me mettais en danger à cause de règles qui sont censés me protéger… Un comble ! En ski de fond, on est libre de faire ce qu’on veut sur le parcours, que ce soit ravitos ou même équipement, on peut enfiler une veste si on veut, on perdra juste du temps vis-à-vis de ses concurrents.
- La Hardrock annulée, tu es annoncé sur le 90 du Mont Blanc. Comment gère-t-on une annulation pareille lorsqu’on perd un des objectifs principaux de sa saison ?
L’avantage c’est qu’on a eu l’info suffisamment tôt et aucun doute, aucun regret parce que lorsque tu vois les photos, tu ne vois pas du tout comment la neige aurait pu être fondue à temps pour que l’on puisse courir en sécurité. Faire du trail, c’est accepter que la nature soit toujours la plus forte. Maintenant c’est vrai que j’étais heureux d’y aller, le plateau annoncé était très sympa et j’avais de nouveau Benoit Girondel comme pacer. Mais voilà, je suis aussi lucide, finalement ça tombe bien pour ma prépa UTMB, c’est presque un soulagement parce que je vais pouvoir préparer plus sereinement. Et en plus je vais faire un long courrier de moins, c’est toujours ça pour la planète même si je sais déjà que j’y serai l’année prochaine parce que l’organisation nous a déjà prévenu qu’il n’y aurait pas de tirage au sort et que nous sommes assurés d’avoir notre dossard. On ne sait pas quel sens sera choisi, ce sera la surprise. Je devais faire le marathon du Mont Blanc en prépa Hardrock donc finalement je me suis reporté naturellement sur le 90. Et sincèrement je suis heureux de retourner à Chamonix, je connais bien cette course. Mais il va faire très chaud… Ce sera pareil pour tout le monde de toute façon et je commence à savoir gérer la chaleur.
- Le trail aux JO est un sujet qui revient agiter les réseaux sociaux depuis plusieurs années. Beaucoup d’athlètes de haut niveau considèrent la médaille olympique comme un graal absolu, souvent au-dessus d’un titre mondial. Tu as un avis sur le sujet ? Après tout, le premier marathonien si l’histoire est vraie c’était un traileur non ? Parce qu’il y a quand même peu de chance que la route entre Marathon et Athènes était bitumée non ?
Si on fait 80km sur une boucle de 5 bornes forcément non… Le problème c’est que l’athlète qui fait du « 30 bornes », ce n’est pas la même prépa que moi. Ce qui me donne des ailes, c’est l’ultra c’est l’aventure que l’on vit derrière ce mot. Il faudrait organiser plusieurs distances pour que tout le monde trouve son bonheur et ça ne sera possible. L’ultra sort du cadre, ne rentre pas dans le protocole habituel et c’est ça qui me plait. Après si jamais les JO devenaient « responsables » pourquoi pas ? Mais savoir que la création d’un parcours aura coûté une fortune et entraîné l’expropriation de centaines de familles comme au Brésil… Là non, ce n’est vraiment pas « esprit trail » compatible. Mais les JO restent quelque chose de mythique.
- Depuis quelques temps, les élites dont tu fais partie se lancent sur des défis toujours chronométrés mais qui sont avant tout des défis persos. Toi et ta balade pour aller manger une saucisse… Kilian qui part faire le tour de chez lui en mode autonomie… Antoine Guillon et son tour de l’ile de la Réunion… C’est la fin d’une époque ? Le début d’une autre ?
En fait c’est la base, c’est ce qui nous anime vraiment, la motivation profonde c’est l’activité en réalité. Pour moi un challenge quel que soit, c’est se lancer un défi, y aller à fond, savoir que je pars pour me « mettre une bonne dose ». Le défi contre soi-même, c’est ça la base. Il ne faut jamais oublier que pour la plupart on est né dans ce cadre… En fait, quand je me lance ces défis persos, je retombe en enfance, je refais ce que je faisais quand j’étais gamin. Je vivais au milieu de nulle part, rien à la ronde pour s’occuper, pas de ciné… Le premier copain de primaire vivait à 10km alors on trouvait tout à fait normal d’aller le voir en courant, en skiant en fonction de la saison. C’est vrai que j’ai bénéficié avec mon frère d’une liberté totale, on s’en allait sur les pistes et nos parents nous laissaient faire sans sembler s’inquiéter à notre sujet.
Ma saison préférée, ça a toujours été en réalité la fin de l’hiver et le début du printemps où tu peux mixer les sports en une seule journée : partir à ski après avoir mis les peaux, courir, finir par du kayak… Enfant, je prenais une carte, je m’inventais des parcours en fonction des courbes de niveau que je trouvais belles. La fin de l’été, je rejoignais tous les points que j’avais découverts et je faisais le grand tour. J’attaquais la rentrée, cramé sur ma chaise mais heureux de ce que je venais de faire. Cette enfance reposait avant tout sur les souvenirs, pas sur la possession de biens matériels. Quand tu as compris que certes c’est toujours sympa d’avoir de beaux skis, un beau vélo mais tout cela reste finalement un peu superficiel et il suffit de quelques minutes pour qu’ils disparaissent soit parce que tu les casses ou qu’on te les vole… Ne restent alors que les souvenirs que ces biens matériels t’ont offerts et ça, personne ne pourra jamais te les prendre. Le parcours que tu auras créé, le défi personnel que tu t’es lancé un matin et que tu auras en plus réussi, ça restera à jamais ancré au fond de toi. Ce sentiment d’appartenance à un parcours créé par ton imaginaire est unique.
- Tu ne parles jamais que de plaisir alors que tu t’entraînes dur pour préparer un UTMB dans le but de le gagner ?
Je réalise que je parle toujours de sortie plus que d’entraînement et ce mot n’est sûrement pas un hasard. Le plus dur pour moi ce sont les périodes de récupération obligatoires après un gros ultra. Tu dois laisser le temps à ton corps fracassé pour récupérer alors que tu as envie de retourner dehors très vite, souvent trop vite. On construit évidemment l’année en tenant compte de ces périodes qui peuvent être plutôt longues. Un ultra c’est comme lancer une bouilloire en marche… Pendant plusieurs semaines, on grimpe en température et finalement plutôt rapidement. La course, c’est l’ébullition… Mais il ne faut pas perdre de vue que lorsqu’on éteint cette fameuse bouilloire, l’eau ne redevient pas froide immédiatement. Elle va prendre un temps certain pour redevenir froide et être prête à remonter en température pour un nouvel objectif. Et bien entendu il ne faut jamais perdre de vue non plus lors de la reprise que justement la température de ton corps est redevenue froide… Et qu’il faudra être patient là encore.
Je travaille beaucoup avec mon coach Benoit sur la variabilité de la fréquence cardiaque qui est vraiment le meilleur indicateur qui soit pour estimer ta fatigue réelle. L’UTMB 2017 qui était hyper intense, je me suis rentré dedans comme jamais alors que mon corps était affaibli par un virus attrapé début août. Et ce qui est fou c’est que je n’ai toujours pas retrouvé mon niveau de l’époque. Pendant les 4 mois qui ont suivi j’étais off complet. Je n’ai pas fait la Diagonale heureusement parce que sincèrement, je pense que ma carrière se serait arrêtée à la Réunion. C’est revenu mi-février mais aujourd’hui encore mon pouls est toujours plus haut qu’en 2017 même si je me rapproche doucement des chiffres de l’époque. Je note toutes mes valeurs de variabilité mon système parasympathique, orthosympathique, je compare, j’essaye de comprendre comment mon corps fonctionne et la coupure de cette fin d’août 2017 est clairement visible. J’en discute beaucoup avec des experts comme Guillaume Millet. J’ai maintenu mon niveau mais pas mes niveaux ????. Mon corps s’est adapté mais clairement sur des épreuves très courtes où je dois « monter dans les tours », je pars de trop haut pour être parfaitement à l’aise. L’ultra reste le format idéal pour moi que ce soit physiologiquement que moralement parce que c’est ce que j’aime, donc tout va bien !
- Tu as une « date limite de consommation » comme coureur d’ultra professionnel ?
J’y pense tous les jours quand je cours ! Ce qui me ferait arrêter, ce ne seront pas forcément les contre-performances qui vont forcément arriver avec l’âge comme tout le monde, mais plutôt parce que les sollicitations seront trop importantes. L’environnement autour de la carrière de coureur d’ultra de haut niveau n’est pas forcément quelque chose où je suis parfaitement à l’aise. Aujourd’hui j’ai un équilibre avec Laurent, les partenaires… Mais parfois l’intérêt que l’on me porte est uniquement lié au fait que j’ai gagné 3 fois l’UTMB, l’athlète prime sur l’homme, sur mes valeurs. Je ne sais pas toujours si les relations que j’entretiens sont bienveillantes ou purement intéressées. Je réussis dans une activité ok, cela m’apporte des opportunités formidables, j’en ai bien conscience mais c’est à l’image de notre société qui est de plus en plus basée sur la représentation, sur l’image que l’on donne et non sur le réel. On ne fait pas attention à l’homme qui vit dans la rue alors qu’il est comme nous, la réussite sociale en moins ok, mais ça ne change rien à sa nature profonde. On m’amène parfois sur des événements un peu comme un pion, parce que je donne une bonne image mais je ne suis pas en phase avec ça et si ça monte encore d’un cran, je sais que je quitterai cet univers. Evidemment je continuerai à courir parce que c’est moi, ma nature profonde mais au travers de challenges en off qui feront plaisir à moi et uniquement à moi, même si dans l’absolu je serai forcément heureux de le partager avec d’autres.
Je ne cours pas pour la reconnaissance, je suis pour le partage, je ne joue pas à celui qui est le plus fort. Lorsque je gagne un UTMB je ne cherche pas à montrer que je suis le plus fort mais juste que je suis avant tout passionné par mon sport. Je m’épanouis en faisant un effort physique, en parcourant la montagne, pas en claironnant un chrono. Et ce n’est pas facile d’être toujours en haut de l’affiche, attendu par le public. Il faut se détacher de tout ça et ne jamais perdre de vue pourquoi tu es sur la ligne de départ. Je cours depuis que je suis gamin, c’est ce qui m’anime et me fait plaisir avant tout, je veille à ne jamais l’oublier. Mais c’est vrai que c’est le souci avec l’ultra c’est que ses pratiquants bénéficient d’une plus grande médiatisation que des traileurs comme Nicolas Martin pour n’en citer qu’un et c’est vraiment dommage. Nous méritons tous la reconnaissance au niveau de notre engagement, pas au niveau de la distance que l’on parcourt.
Recueilli par Cécile Bertin
décembre, 2024
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