“La déception, ça a un sale goût. Mais qui se termine en fond par une pointe de reviens-y…
TU PRENDS TES CLIQUES ET TA CLAQUE…
… Et pis tu rentres fissa à la maison. Sans ramener la Coupe. Ou alors une Coupe pleine de bonnes leçons à méditer et de valeurs à respecter. Une belle claque. Une bonne leçon. Une Fontaine d’enseignements qui déverse son flot d’apprentissages quelque part dans les Baronnies Provençales. Un puits de sagesse qui prend sa source dans le concept d’humilité. Une bonne leçon. L’impression de feuilleter les Fables du charitable Jean pendant plus de 3h30. 3h38 exactement. Et à la fin, peu importe le chapitre, début ou fin de course, toujours la même rengaine, toujours la même morale de l’histoire : « Le haut-niveau c’est comme l’horizon, lointain ! » Proverbe Drômois.
7h. Au départ, c’est Versailles. Un panorama majestueux. Un vent polaire qui habille les sommets en guise de Galerie des Glaces. La Cour est royale. Que des gars qui respectent l’étiquette. Que des Princes qui méritent la couronne. Que des champions qui revendiquent le trône. Que des amoureux du maillot tricolore qui rêvent d’une sélection pour les Championnats du Monde. Que des Califes qui veulent la qualif’.
À cet instant, dans la Fable que j’avais osé imaginer, je pensais pouvoir m’octroyer un petit rôle, aux portes du top 10. Et ainsi valider une belle progression. Concrétiser, dossard sur le poitrail, cette nouvelle démarche, plus structurée, plus exigeante, entamée avec le Team Matryx depuis janvier. Rendre fiers ceux qui investissent plus que de la poussière de temps à mon égard. Faire vibrer ceux qui croient en moi. Sauf que les recueils poétiques et les discours grandiloquents c’est bien beau mais rien ne vaut la vérité du terrain et du chronomètre.
Le départ est donné. Parait que rien ne sert de courir et qu’il vaut mieux partir à point. Véridique. Excepté lorsque tu te retrouves dans un troupeau qui sait faire les deux. Craintif à l’idée de me muer en tortue 43 km et 2200 m d’ascension plus loin, je savais qu’il faudrait fatalement laisser partir les lièvres devant. Faire preuve de prudence au terme d’une première partie en gestion, quitte à voir l’écart se creuser avec la tête. Dans l’optique de grignoter des places ensuite.
À mi-course, à l’aube d’attaquer cette longue montée censée coïncider avec mon point fort, je passe au ravitaillement en 18ème position, à une toute petite poignée de minutes du top 10. En alignement avec le plan de route. Je me vois beau. Triomphant. Revêtir le costume du fin stratège, ce Renard malin, futé, à l’affût si devant ça laisse choir son bout de fromage. Sauf que devant c’est pas des corbeaux mais des avions de chasse. Ils ne lâcheront ni le frometon, ni leur bout de gras.
Très rapidement, je prends conscience que j’ai présumé de mes forces. Que je n’aurais certainement pas dû mettre en vente la peau de l’ours. Que la remontada, ça n’existe qu’à la télé. Les soirs de Ligue des Champions. Sur un rectangle vert, en île de France. J’ai beau tâché d’imprégner un rythme soutenu, je perds plus de terrain que je n’en gagne. À ce moment précis, au 25ème km, je me rends compte qu’en fait, je suis la Cigale de la farce, celle qui pavoise, non sans sueur au quotidien certes, mais qui se berce d’illusions. Celle qui se donne les ambitions, pas toujours les moyens. Je me rends compte qu’en fait, tous les autres athlètes sont de vraies fourmis. Aussi talentueuses que laborieuses. D’impressionnantes petites bestioles qui cultivent ingénieusement, depuis maints hivers, le don que leur a fait la nature. Pour ensuite chanter tout l’été. « Eh bien ! dansez maintenant. » Tout seul, dans ces singles piégeurs.
Un long mano a mano en bugne à bugne avec ma volonté s’engage. J’ai conscience que dans ces sentiers joueurs, courir en groupe procure un avantage indéniable. L’assurance de rester vif et alerte, à un rythme soutenu. J’étais venu pour une guerre de tous les instants, une bagarre intense et je me retrouve à avaler les kilomètres seul et mal accompagné. Par mon unique découragement. Pas la flamme. L’appétit s’éteint. Le loup devenu agneau. La Grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le Boeuf, mais qui n’avait d’opulent à offrir que son ego et son manque de modestie.
Je faiblis. Dans la tête et les jambes. Je manque de panache et me réconforte avec cette maxime qui fonctionne partout, hormis dans les sports qui exigent de l’audace, sauf lorsque tu prétends viser de grandes performances : « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Au final, dans le top 20, t’es à ta place. Du moins, c’est que disait le ranking avant la course… » Guiboles des petits jours et niaque de petit bras. T’as cru que t’avais un mental de Pot de fer ?! Pourtant, dès la première difficulté, tu te craquèles comme son homologue en terre.
Les derniers kilomètres laissent place à une longue balade introspective, accompagnée par les lactiques. Le corps marche mais l’esprit court. Surtout les méninges. Quelles flèches puis-je décocher de mon carquois à excuses ? Au final, aucune si ce n’est que je n’avais su mesurer la hauteur de la marche qui me sépare du haut-niveau. Et qu’il va falloir bien plus qu’une saison encourageante pour espérer le vouvoyer un jour. Car le Trail, c’est comme les Fables de la Fontaine. La raison du plus fort est toujours la meilleure. Les 16 champions qui m’ont précédé sur la ligne d’arrivée me l’ont montré tout à l’heure”.
Baptiste Chassagne – Photos Régis Delpeuch / Stéphane Marcou
novembre, 2024
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