Thomas Lorblanchet vit une saison 2014 délicate. Abandon au Mont-Fuji en avril dernier, opération aux adducteurs, le quadruple vainqueur des Templiers (2007, 2008, 2010, 2013) a repris l’entraînement début août, s’alignant par la suite sur deux courses, effectuées dans le cadre de sa préparation : l’Ultravasan en Suède (90 km ; 9e en 6h50’47’’), et le trail du Sancy le week-end dernier, qu’il a remporté (60 km en 6h15’45’’). Le Clermontois raconte pourquoi il va se tourner vers l’ultra, mais aussi la manière d’aborder ce virage.
Comment étaient tes sensations au Sancy ?
Pour une reprise dans le dénivelé (3 350 D+), ça allait. Je n’avais pas de super cannes, mais la victoire sur ses terres, c’est important. Je cherchais surtout à retrouver des bases pour refaire du dénivelé, ce que je n’ai quasiment pas fait depuis le retour du Japon (et l’Ultra Trail Mont Fuji le 25 avril).
Tu te sentais mieux que lors de l’Ultravasan en Suède (22 août dernier) ?
Oui, c’était mieux, mais c’est complètement différent au niveau des profils de course (90 km et 867 m D+ pour l’Ultravasan). La Suède, c’était une course particulière car c’était plus quelque chose de mythique qu’un trail comme on l’entend en France. Ce qui m’a fait venir au trail, ce sont les courses type Sancy. Je retrouve des sensations sur des parcours dans lesquels j’avais l’habitude d’évoluer.
Penses-tu que le trail peut tendre vers ce genre d’épreuve ?
Ce n’est pas forcément dans ma définition du trail. Le trail, c’est une certaine autonomie de ravitaillement, ce qui était loin d’être le cas en Suède. Après, ce sont des courses qui n’existent pas en France et qui auraient largement leur public. Un 100 bornard avec le pied agile, ça pourrait lui convenir, comme un Jonas Buud (vainqueur de l’Ultravasan). Cela aurait une légitimité sur un calendrier course nature. En métropole, on cultive un petit peu ce dénivelé, ce qui n’est pas le cas en Suède. Après, il y a des passages très techniques quand tu passes dans certaines forêts, bien plus techniques que ce que l’on pourrait trouver à l’UTMB par exemple. Mais c’est plat (autour de 15 à l’heure de moyenne pour Jonas Buud).
« L’ultra, c’est tout sauf de la course à pied »
Revenons sur ta saison. Quels enseignements as-tu tiré de ton abandon à l’Ultra Trail du Mont-Fuji (UTMF, 168 km et 9 500 D+) ?
Que l’ultra est tout sauf de la course à pied.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que la partie physio est intéressante, nécessaire mais loin d’être suffisante. La gestion de l’effort, c’est capital et essentiel.
Tu étais parti trop vite ?
Pas forcément trop vite car il faut à un moment donné courir avec ses qualités. Et tu ne cours pas qu’avec le frein car sinon tu grilles autant d’énergie que si tu cours sans ton frein. Je n’ai pas d’expérience ni de vécu suffisants pour pouvoir absorber un parcours comme le Mont Fuji. Le Leadville (100 miles soit 160 km, qu’il a remporté en 2012), c’était quelque chose de très roulant qui collait complètement à mes qualités. L’UTMF, c’était loin d’être le cas. Il m’a manqué cette expérience et cette façon d’aborder le dénivelé en ultra qui est complètement différente de la façon de l’aborder sur un Templier : tu montes la bosse au taquet et tu relances en haut. Un ultra, ça ne se monte pas comme ça : il faut absorber le dénivelé de façon bien plus lissée. Au Mont Fuji, j’étais loin d’être économique. Et il faut le travailler à l’entraînement.
Par exemple ?
Quand tu fais un footing, il se faut se projeter de la manière suivante : “je fais un footing dans l’optique de l’ultra“. Un footing d’une heure pour une prépa Templiers, tu ne le courras pas pareil que si c’est ton footing d’une heure pour une prépa ultra. Il faut chercher un peu plus le relâchement, ne pas forcer le geste, chose que je fais beaucoup moins car je n’ai pas été “éduqué“ à ça.
Tu t’es fait ensuite opérer. Quel était la nature de ta blessure ?
J’avais déjà pris un bon coup dans la « cafetière » car j’avais mis pas mal d’énergie et d’ambition pour l’UTMF. Pour rebondir, ça a été un peu délicat. Quand je suis reparti à l’entraînement, j’ai eu des douleurs à l’adducteur que j’avais un peu ressenties avant le Japon en fin de prépa. Ça s’est vraiment envenimé après. J’ai tenté le coup pour aller jusqu’à la Western, mais je n’ai pas réussi. Après “Outrun the Sun”, j’ai décliné la Western. Je n’étais pas du tout préparé pour faire une perf. Je me suis fait opérer le 24 juin. Je n’ai pas réussi à faire de dénivelé durant cette période. Il y a deux ans, je m’étais fait opérer d’une pubalgie, avec l’objectif de retendre les abdominaux et détendre l’adducteur gauche (ténotomie). J’ai compensé à droite, du fait du gain d’amplitude à gauche. On a fait la ténotomie à droite.
Normalement, c’est ok maintenant !?
Oui, ça devrait être bon !
Tu as repris quand ?
Début août, sans dénivelé car j’avais l’Ultravasan dans le viseur. J’ai réattaqué les entraînements “normaux“ le week-end dernier (au Sancy, donc).
« A 34 ans, je vois les choses différemment et j’ai envie de me projeter sur des challenges plus sympas »
Quel va être la suite du programme ?
Je vais aux Aiguilles Rouges le 28 septembre. C’est une course qui m’a toujours attirée. Ensuite, je ferai l’Endurance Trail des Templiers (100 km).
Pourquoi ce choix et pas le grand trail (73 km) que tu as remporté à quatre reprises ?
Car j’ai envie de basculer sur l’ultra dans une vision à moyen-long terme. Et je n’ai pas envie de faire les choses à moitié, car sinon, on ne les faits pas complètement. J’ai fait les Templiers depuis 2002, je pense avoir acquis ma légitimité pour aller sur d’autres courses. A 34 ans, je vois les choses différemment et j’ai envie de me projeter sur des challenges plus sympas.
Tu as fait le tour des trails de 50-70 km ?
En France, des trails de “50 miles“, ils n’y en a pas 36 qui me font rêver. Il y a juste les Templiers, que j’ai gagné quatre fois. Il est un peu temps de voir autre chose.
Cela peut-être un beau challenge de se mesurer à des coureurs comme François D’Haene par exemple ?
Non, non. J’ai 34 ans, je ne me positionne plus du tout dans la démarche : “je vais voir ce que je vaux par rapport à quelqu’un d’autre“. C’est une vision que j’aurais pu avoir si toute ma vie tournait autour de ma pratique. Là, c’est de moins en moins le cas, même si je fais les choses hyper sérieusement avec autant d’enthousiasme et d’énergie que quand j’étais cadet. Je conçois ma pratique comme une partie de ma vie mais ce n’est pas toute ma vie. Maintenant, je veux surtout voir ce que je vaux par rapport à moi. Quand je serai satisfait de ce que je fais sur ultra –je suis nettement plus exigeant avec moi-même qu’avec les autres- je pense que je ne serai pas loin du compte sur pas mal de courses. Pour l’instant, c’est loin d’être le cas et il faut que je mette les choses en place pour pouvoir l’être.
« Il y a encore plein de courses qui me font rêver »
Quels sont justement tes objectifs personnels ?
D’abord retrouver une intégrité physique totale et pouvoir faire des charges d’entraînements nécessaires pour être performant en ultra. C’est mon leitmotiv de tous les jours, rester dans mon équilibre de vie général, sans négliger la famille, le boulot etc… A moyen terme, c’est être satisfait de moi et à la façon dont je peux conduire la course. Et à long terme, c’est pouvoir prétendre à une victoire sur des courses que j’estime majeures. Il y a encore plein de courses qui me font rêver.
Lesquelles ?
Une Western, une Hardrock, une Diagonale des Fous, un UTMB. Je suis avant tout venu au trail par passion et défi avec des trucs qui me faisaient rêver.
As-tu un programme en tête pour 2015 ?
La saison n’est pas encore terminée. Je sais sur quoi je veux aller mais rien n’est encore ficelé, car ce sont des courses qui nécessitent une telle logistique que c’est difficile à dire.
Cela va nécessiter un entraînement différent ?
Ce n’est pas parce que tu prépares un 100 km que tu vas forcément t’entraîner beaucoup plus que si tu préparais un marathon. Mais tu t’entraînes différemment. Je vais réfléchir en amont à la manière de construire ma saison et mes entraînements pour être performant. Je pense que ça vaut plus le coup de faire des gros blocs d’entraînements suivis de récup. Chose que tu fais moins quand tu prépares les Templiers. Les Templiers, c’est plus une prépa type marathon, hyper traumatisante. Je pense qu’un trail long est bien plus sollicitant et traumatisant qu’un ultra. On court différemment.
Et au niveau mental, envisages-tu une préparation spécifique ?
J’ai déjà du mal à caser tous mes entraînements, donc si je rajoute de la prépa mentale à tout ça, je crois que je vais péter un câble. Mais j’essaie en gros d’être serein quand je vais arriver sur la ligne de départ. La prépa mentale, elle va avec la sérénité. Et la sérénité, tu l’as quand tu sais que tu as validé tes étapes : c’est pouvoir être finisher sur une belle course, une course engagée, dure. Ce sont des trucs qui vont te permettre de relativiser la difficulté de l’effort.
Recueilli par Quentin Guillon – Photos Christophe Rochotte, Cyril Crespeau, JM Mouchet
novembre, 2024
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