« Je suis sur les Templiers » entend-on au bout du fil. « Je suis même étonné qu’il y ait du réseau. Je vais essayer de finir avant la nuit » glisse Gilles Bertrand, un brin essoufflé. Sur le terrain, constamment, afin de dénicher un single inconnu, de s’assurer que tout est en ordre, de souffler un mot à un ou deux villageois… Gilles Bertrand et Odile Baudrier sont les deux bâtisseurs du Festival des Templiers – sans oublier les quelques 800 bénévoles qui œuvrent aujourd’hui-, dont le coup d’envoi de la 20e édition sera donné vendredi 24 octobre (le salon débute la veille).
Rendez-vous fut donc pris deux jours plus tard avec celui qui fut aussi et toujours avec Odile Baudrier le créateur de VO2 il y a 25 ans, puis d’Endurance (désormais édités par Outdoor Editions). Gilles Bertrand raconte la genèse de l’épreuve, la manière dont elle a grandit et dont il l’a conçoit, mais aussi ses souvenirs tout en brossant le tableau du trail aujourd’hui.
Dans le sillage d’une passion chevillée au corps qui ne le quitte pas.
La course des Templiers en Direct ICI
Pour commencer, d’où vous est venue l’idée d’organiser les Templiers ?
Avec Odile, nous étions partis faire un reportage en 1989 sur le Leadville Trail (Colorado) puis l’année suivante sur la Western States (Californie). A partir de là, j’ai rêvé d’organiser une épreuve semblable. Le premier projet date de 1991 mais je n’ai pas eu le soutien à l’époque de la commune.
Qu’est ce qui vous a particulièrement attiré lors de ces reportages ?
Je me suis complètement retrouvé dans ce type de course. Ça correspondait à ce que j’aime en tant que coureur, à ma pratique personnelle, sans souci de compétition: courir longtemps, sur les Causses, sur l’Aubrac ou en montagne, avec très peu d’encadrement et peu d’autonomie, dans des conditions un peu rudes.
Cela a-t-il été compliqué à mettre en place ?
J’avais bien travaillé mon dossier en 1991 mais j’étais peut-être un peu trop ambitieux. J’avais baptisé ça le festival de l’endurance. Je voulais mélanger plusieurs sports en même temps. Sur un week-end, je souhaitais faire une grande course de VTT, de course à pied, et d’endurance à cheval. Le concept était assez ambitieux et c’est peut-être ce qui a bloqué. On l’a mis en sommeil et on s’est lancés en 1994 sur quelque chose qui était plus raisonnable et qu’on était capables de faire.
Ce projet est-il encore dans les cartons ?
Non, car on s’est aperçu au fil du temps qu’il ne fallait pas mélanger les disciplines.
Je pense qu’il faut rester concentré sur un sport et travailler en conséquence.
« Le trail est devenu sérieux, peut-être trop »
Comment avez-vous perçu l’évolution du trail entre 1995 et aujourd’hui, avec l’arrivée du marketing, des teams etc… ?
Au départ, j’aime cette discipline qui est entre guillemets assez dépouillée, qui n’est pas du tout “marketée“ avec des choses très simples : de petites lignes de départ et d’arrivée, un parcours sommairement balisé, et des coureurs qui se débrouillent. C’est ma vision de la course à pied telle que j’avais envie de la proposer. Avec tout le marketing et le business lié à l’économie du trail, celui-ci est devenu sérieux, peut-être trop sérieux et peut-être trop dérangeant à ce niveau là. C’est un peu perturbant. Mais j’avoue avoir ma part de responsabilités car nous sommes devenus une organisation très sérieuse, une épreuve très “marketée“. Parfois, j’éprouve des regrets de voir comment la discipline a évolué de manière si sérieuse et commerciale. J’ai travaillé durant trois mois sur le trail aux Etats-Unis (l’ouvrage Trail’Origin sortira le 21 octobre prochain, ndlr) et il n’a pratiquement pas évolué là-bas, à part quelques épreuves skyrunning.
Si les Templiers sont très “marketés“, l’épreuve est aussi ouverte à tout le monde et j’ai beaucoup travaillé dessus afin que le trail ne soit pas cloisonné. J’ai voulu cassé le moule de ce communautarisme pour que l’épreuve soit ouverte au plus grand public possible. Le succès de l’épreuve passe par là, mais monter un tel évènement nécessite des partenaires, du sponsoring, et ça peut de suite modifier la perception qu’on peut avoir de l’évènement. Mais si on reste focalisé sur sa course, c’est assez proche de ce qu’il y avait il y a trente ans.
« Il n’y a aucune différence avec un lanceur de poids dans sa cage ou un marathonien qui met un dossard »
Comment expliquez-vous cette opposition dans l’évolution de la discipline entre la France et les EU ?
En France, je pense que l’on est très entreprenant. On a deux modèles qui ont tiré l’ensemble de la discipline vers le haut : les Templiers et l’UTMB®. Je pense qu’il y a beaucoup d’organisateurs qui ont envie de se rapprocher de ces deux standards. On a aussi une Fédération (FFA) qui depuis une dizaine d’années a compris que le trail allait devenir une discipline majeure. L’essentiel a été fait pour que la discipline soit reconnue. Les marques de running et de montagne ont compris l’intérêt de développer cette discipline, alors qu’elles ont été plus frileuses aux Etats-Unis.
Il faut aussi dire que les freins pour organiser sont grands aux Etats-Unis, comme la réglementation dans les forêts et les parcs nationaux. En France, il y a bien entendu des réglementations à respecter mais nous sommes en capacité d’organiser de grands évènements avec beaucoup de monde. Quand on va voir un partenaire en lui disant : je suis capable d’avoir 3 000, 5 000 ou 10 000 personnes, ça peut nécessairement créer de l’économie alors qu’aux Etats-Unis, l’ONF (Office National des Forêts, ndlr) local dit que seuls 200 coureurs sont autorisés à passer, ce qui est compliqué pour avoir des partenaires.
Le fameux « esprit trail » existe-t-il encore ?
L’esprit trail, c’est un petit mot qu’on a mis sur un t-shirt un jour mais ça n’a franchement jamais existé. Il n’y a aucune différence entre un lanceur de poids dans sa cage ou un marathonien qui met un dossard. C’est une compétition, qui se déroule certes en milieu naturel, mais il y a des codes et des règlements à respecter, un classement, des meilleurs et des gens moins bons. On a proposé une autre forme de compétition mais c’est à chacun de construire son histoire. Faire un trail, c’est autre chose que courir un marathon, mais quelque part, ça n’est pas très différent. Le marathon, c’est aussi la découverte d’une ville ; c’est juste le cadre qui change.
« Il faut courir mais aussi sentir le terrain, comprendre pourquoi les anciens sont passés là »
Vous avez toujours cherché à innover, proposer des nouveaux single etc… ?
Oui. C’est plus difficile de proposer autre chose aujourd’hui car on s’approche de quelque chose qui touche à la perfection, et il y a des règles environnementales à respecter. On arrive à un parcours qui est peut-être le plus beau que l’on puisse proposer, et qui est figé à 95% sur les 74 km des Templiers. Le parcours s’est durci un peu afin que la course soit un peu plus marquante.
J’ai toujours eu cet esprit un peu dénicheur de trouver de nouveaux sentiers, de parler avec les anciens, dans les villages, les chasseurs qui connaissent très bien les parcours, ou les livres anciens. Il y eu entre guillemets des explorateurs qui ont exploré les causses au 19e siècle notamment, les premiers spéléologues qui ont cartographié toutes les grottes, les causses etc…J’ai essayé de m’inspirer de ça.
Ré-exploiter tous ces lieux de passage a toujours été assez prenant pour moi car il y a un côté patrimonial historique qui m’intéresse : c’est faire passer la course là où les anciens sont passés avant nous. C’est apporter une plus value aux coureurs : il faut courir mais aussi comprendre cet environnement, pourquoi les anciens sont passés là. C’est sentir le terrain, sentir qu’il y a quelque chose de logique à passer là, car il y a une source dans la roche qui permet d’irriguer 20 mètres carrés de terre, par exemple. C’est découvrir des abris sous roche, des grottes qui étaient encore habités par les bergers au 18e, 19e. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup.
C’est compliqué parfois avec les habitants locaux ?
C’est un travail de négociation. J’en ai fait une partie et j’ai une personne (Philippe Badou) qui au fil du temps a montré ses compétences pour le faire. C’est un peu le négociateur qui va de ferme en ferme, de village en village. Il y a un gros travail de fait là-dessus. Je ne sais pas si on a réussi mais c’est important que tout notre territoire s’accapare la course, que chaque personne qui vit sur le territoire soit fière de l’épreuve. On n’y est pas encore totalement arrivé mais on y arrivera.
Dans quel but le challenge international a-t-il été mis en place ?
Ce sont des exemples que j’ai vus en athlétisme et qui m’ont séduit, avec le cross d’Edimbourg (Ecosse) et les Penn Relays (Pennsylvanie aux Etats-Unis). Nous avons trouvé des budgets supplémentaires pour le faire cette année. C’était une des priorités. Les Templiers souffrent d’un déficit d’image à l’international. J’espère que cela va être une réussite sportivement pour qu’il y ait du rayonnement international et que d’autres coureurs étrangers aient envie de venir spontanément. L’impact est réel. On a par exemple une dizaine de Scandinaves qui viennent grâce au fait que Jonas Buud ait été invité. Oui, le but est de pérenniser ce challenge (lire la news ICI), pourquoi pas l’ouvrir à Asie etc…
« Refuser 3 000 à 4 000 coureurs me désole »
Comment vous voyez l’avenir des Templiers ?
J’ai toujours un peu navigué à vue, même si j’ai des idées pour les années suivantes quelques jours avant la course, sur le terrain ou en discutant avec les gens. Pour l’an prochain, j’aimerais bien organiser une épreuve qui soit très rustique, engagée et très physique au niveau du parcours, avec très peu de ravitaillements et pas beaucoup de coureurs. J’ai trouvé certains passages pour le parcours.
D’un point de vue global, le but est de renforcer le staff qui organise, trouver d’autres partenaires etc… Refuser 3 à 4 000 coureurs me désole. Il faudrait les bonnes idées techniques qui permettent à tout le monde de venir aux Templiers. Faire un peu comme le Roc d’Azur (une épreuve de VTT disputé début octobre qui réunit sur cinq jours entre 15 et 20 000 personnes, ndlr), sans toutefois dénaturer la course, où les coureurs qui viennent se sentent bien. C’est une alchimie complexe. On peut être déstabilisé par la grosseur de la course.
Comme sur le samedi, où les courses s’empilent les autres avec les autres (8 dont 3 pour les jeunes catégories).
En fait, c’est un problème de visibilité pour les vainqueurs, mais passé les 10e ou 15e de chaque épreuve, chacun est dans sa course. C’est un peu compliqué quand le premier arrive dans le flot des coureurs, ça ne valorise pas forcément la première place. Mais nous allons faire un effort cette année pour que l’on visualise bien les vainqueurs.
« Patrick Renard était emblématique. J’avais le sentiment d’avoir réussi à poser une passerelle entre la route et le trail »
Avec Odile Baudrier, vous vous voyez restés encore longtemps à piloter l’épreuve ?
C’est la question clé que l’on se pose. J’ai toujours dit que je ne serai pas un vieil organisateur qui s’accroche à son organisation. Je souhaite créer autour de moi un staff qui sache prendre les rennes à terme. La réussite des Templiers doit passer par là, c’est-à-dire savoir transmettre.
Quels sont le plus beau et le plus mauvais souvenir ?
J’ai une certaine capacité à balayer (rires). Mais je dirais l’arrivée de Patrick Renard pour la première édition, où j’ai ressenti une très grosse émotion. Je ne pense pas l’avoir connu après. Ce coureur était pour moi emblématique, car il venait de la route, c’était un bon marathonien, et j’avais le sentiment d’avoir réussi à poser une passerelle entre les deux mondes et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de cloisonnement entre la route et le trail, que ça soit deux mondes à part. Je n’avais pas envie de ça et c’est ce qui est arrivé. Ça me désole. Ce sont deux façons de courir différentes mais c’est de la course à pied. Patrick Renard exprimait vraiment ça, d’autant qu’il était irradié de bonheur.
Pour le mauvais souvenir, notre implantation à Millau (en 2010) a été parsemée d’embûches et nous avons montré notre capacité à organiser, notamment dans la dernière ligne droite. On pensait qu’on avait l’œil noir, mais on a été capables de surmonter ces difficultés.
Templiers 2014 : interview d’Aurélia Truel ICI, Nicolas Martin ICI et Fabien Antolinos ICI
Par Quentin Guillon – ©photos K. Bertrand – F. Bousseau – YM Quemener
décembre, 2024
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