« Encore dans l’euphorie », Sylvain Court a raconté sa victoire aux Championnats du Monde trail, disputés samedi 30 mai à Annecy-le-Vieux (Haute-Savoie), et la manière dont il s’est préparé. Placidement, comme à l’accoutumée.
A 32 ans, le champion de France 2014, 2ème des Templiers ne semble pas encore y croire – voir le portrait de Sylvain Court – #video
Peut-être demain, sur les courts de Roland-Garros, où le Bordelais (licencié à Bouliac Sports Plaisirs) en est l’invité…
Les Championnats du Monde de Trail 2015 – compte rendu, photos, réactions et résultats ICI
Dans quel état d’esprit êtes-vous deux jours après avoir glané ce titre mondial ?
Je ne sais pas si je suis encore dans l’euphorie de la course, du résultat, mais je n’arrive pas du tout à fermer l’œil. Cela m’est très rarement arrivé, voire jamais, arrivé… Ça été un tel moment…Je pense que je peut-être subir un contrecoup de fatigue dans quelques jours, mais je suis encore dans une certaine euphorie.
Vous ambitionniez la victoire avant la course ?
Les Mondiaux étaient l’objectif de l’année, voire la course de ma vie. J’ai toujours rêvé de participer à un championnat du Monde, déjà quand je faisais du VTT (jusqu’en 2005, ndlr). Depuis que je sais que je suis sélectionné, je me suis donné le plus de moyens possible. Habiter Bordeaux pour préparer une course avec un tel dénivelé et une telle distance était un sacré challenge (85 km pour 5 300 m D+, bouclé en 8h15’38’’). Depuis janvier, tous les vendredis après-midi, je partais de la caserne de Mérignac (il est magasinier et aide moniteur au service des sports de l’armée, ndlr) pour aller m’entraîner le week-end au Pays-Basque ou en Auvergne. Je ne l’ai pas trop dit car ça pouvait paraître prétentieux et c’était un gros risque d’annoncer ça à l’avance, surtout si je me ratais, mais le podium était l’objectif. Et je voulais batailler pour le titre, donc avec Luis Alberto le plus longtemps possible. C’était une concurrence assez féroce. C’est vraiment un concurrent que je respecte et qui a un super état d’esprit. On s’est livré une énorme bataille.
S. Court : «j’ai tellement appuyé fort sur un bâton que je l’ai tordu»
Vous vous êtes toujours trouvé aux avant-postes ?
Je ne suis jamais trop attentiste. Dès le départ, je me suis retrouvé dans le groupe de tête. A mi-parcours, Sébastien Spehler a attaqué très fort le col de la Forclaz (il a ensuite abandonné, ndlr). J’ai fait une ascension prudente car on était encore loin de l’arrivée.
Au Roc Lancrenaz, j’avais 3’ de retard sur Sébastien, et j’étais un peu derrière Luis Alberto. Puis les écarts ont diminué dans la descente. Je sentais qu’il se passait quelque chose devant. Je veillais surtout à garder le même rythme depuis le deuxième ravito (à Doussard) en me disant que ma sagesse allait payer. Je me suis alors dit que les autres ont peut-être eu un rythme de course plus saccadé, en accélérant puis ralentissant.
Sur des efforts comme ça, proches de l’ultra, on peut le payer sur les deux dernières heures de course.
En bas de la descente, j’ai rejoint Sébastien Spehler, puis Luis Alberto Hernando au dernier ravitaillement (km 70).
Sur la dernière difficulté du parcours (7 km de montée avec 1 000 m de dénivelé), on s’est livré une bataille à couteaux tirés. C’était attaque et contre-attaque. A un moment, j’ai tellement appuyé fort sur un bâton que je l’ai tordu. J’ai finalement réussi à le décrocher, mètre par mètre, à deux km du sommet. Durant la descente, j’ai dû me retourner vingt ou trente fois. A 1 km de l’arrivée, il y avait beaucoup de monde sur le bord. Je n’arrivais pas trop à voir s’il sortait du sentier.
Puis à 200 m, je commence à vraiment y croire, je rentre dans le couloir d’arrivée, avec tout le public, je tape dans les mains…
Quels sentiments vous ont alors animé ?
Sur le moment, c’est vraiment difficile d’y croire. On a l’impression de gagner une belle classique, comme les Templiers. On ne se rend pas compte qu’il y a un titre de champion du Monde. C’est un rêve de gamin qui se réalise. Je me suis jeté dans les bras de ma femme (Adélaïde Panthéon) et tout s’est enchaîné derrière : le protocole, le contrôle antidopage, les photos, les interviews. Avant, il y avait eu l’arrivée de Luis Alberto puis celle de Patrick Bringer. J’ai savouré le titre individuel mais on représente l’équipe de France, et il y avait le gros objectif d’aller chercher le titre par équipes sur le sol français. Quand Ludo (Pommeret, 5e) est arrivé, on a compris que c’était bon et qu’on allait faire une « big » fiesta le soir.
« On a commencé à mettre de la musique, le karaoké, à bien s’amuser…»
Et c’est ce qu’il s’est passé !?
C’était dans un super esprit. Le proprio de la résidence dans laquelle on se trouvait avait préparé du champagne, des petits fours.. Les autres délégations étaient un peu en contrebas. On les a invités et ça été la fiesta tous ensemble. C’était la communion avec les Espagnols, les Allemands, les Belges, et vraiment dans un super état d’esprit.
Toute votre programmation était tournée vers ces Mondiaux ?
J’ai essayé de ne pas trop courir pour ne pas générer trop de fatigue. La dernière course de préparation était toutefois assez loin (le 12 avril, le trail de la Sainte-Victoire –comme un clin d’œil !?- 58 km 2 900 D+, vainqueur en 5h34’53’’).
Après le stage équipe de France fin avril, j’ai fait une dizaine de jours dans les Alpes pour m’entraîner en montagne et à l’issue de ça, j’ai fait une « auto-compète » sur les 40 derniers km sur le parcours des championnats du Monde, pour réviser encore une dernière fois la partition.
C’était marrant, car je suis descendu de l’endroit où j’avais fait mon stage. J’avais posé la voiture à l’arrivée, mais je n’avais pas de moyens pour me rendre sur le point de départ, à Doussard (44e, au 2e ravito sur le parcours de la Maxi-Race, ndlr), où je voulais partir.
J’ai fait du stop (rires). C’était un peu à l’arrache. Je suis tombé sur un coureur super sympa qui faisait la Maxi-Race et qui m’a dépose au départ, et j’ai fait les derniers 40 km en mode course.
En dépit d’un très bon début de saison, vous n’aviez pas été sélectionné pour les Mondiaux 2013. Vous y avez repensé ?
J’ai tourné la page. J’ai vraiment été très déçu mais je ne suis pas quelqu’un de rancunier. Il a fallu se remobiliser mais je n’ai pas eu d’esprit de revanche, ou de « vengeance », et je n’y ai pas pensé en franchissant la ligne.
« Connaître le parcours apporte une très grande plus value »
Il y avait vraiment une grosse densité (259 coureurs dont 95 femmes représentant 37 nations au départ) au regard de l’hégémonie des Bleus (cinq dans les huit premiers) ?
Je pense que c’était l’un des championnats du Monde les plus difficiles au niveau du parcours. Je pense qu’il n’y avait jamais un si beau plateau de coureurs. Luis Alberto Hernando est venu valoriser ce championnat : il a déjà battu Kilian Jornet, il a remporté de très grandes courses, il a été champion du Monde de skyrunning l’année dernière devant François D’Haene.
Plus les Anglais comme Tom Owens ; l’Espagnol Manuel Merillas, 2ème à Zegama, Xavier Thévenard qui a gagné l’UTMB et j’en oublie. Il ne manquait peut-être que François D’Haene, et Kilian Jornet mais il y avait quand même beaucoup de monde.
Après, on (les Français, ndlr) a très bien préparé le rendez-vous. On a eu un stage d’une semaine sur le parcours au mois d’avril. Le fait de le connaître apporte une très grande plus value au niveau de la gestion de course. Surtout sur de telles distances, avec 8-9 h de course où l’on est à la frontière de l’ultra. Ça permet de mieux gérer, savoir où l’on peut attaquer, récupérer etc…
Il y a aussi la qualité des coureurs : sans se mettre trop en avant, on a vraiment une belle équipe de France.
Quelle va être la suite pour vous ? Les débuts sur l’ultra ?
L’ultra, j’ai l’impression que je ne vais jamais y arriver (rires). J’y arriverai un jour, j’y arriverai ! Si je faisais un mauvais truc aux championnats du Monde, je pense que je me serais aligné sur le Lavaredo Ultra Trail, trois semaines-un mois après, de façon à rentabiliser la grosse prépa que j’avais faite.
Et le plan B, en cas de réussite aux Mondiaux, c’était de se mettre un peu au calme. Je pense que je vais couper au moins deux semaines. Comme l’année dernière, ça m’avait bien réussi.
Les Templiers me font rêver (2e en 2014, ndlr). Je pense que je vais essayer de bien les préparer. Il y a aussi les championnats de France au Sancy, au Sancy, où j’aime bien m’entraîner et où ma petite femme est originaire. J’aimerais bien remettre mon titre en jeu. Et peut-être le North Face San Francisco en fin d’année (50 miles).
En juillet-août, je ne ferais pas de longues courses, mais il y a peut-être l’OCC, ou Zermatt. Il y a aussi Sierre Zinal qui me plaît bien. Il y a plein de courses qui me font rêver mais il faut peut-être que je me pose un peu. Oui, l’expérience de l’an passé m’a énormément servi de leçon. C’est vrai que j’étais bien carbo. Je vais d’abord bien savourer mon titre.
© Interview par Quentin Guillon / Photo Yves-marie Quemener
novembre, 2024
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