La logique veut que tout ultra-traileur, correctement constitué, trottine allègrement vers la ligne d’arrivée avec une seule obsession en tête : celle de la franchir au plus vite. Que ce soit pour des raisons de performance chronométrique ou simplement de suspension de souffrance, le coureur n’aspire souvent qu’à en finir au plus tôt… Mais toute règle a son exception. Il y a de ces courses qui sont si emblématiques, si chargées d’attraction, que la notion de prouesse et d’exploit en devient secondaire. Au contraire même, la lenteur devient un paramètre incontournable, voire essentiel pour que l’accomplissement soit pleinement vécu.
Du 29 octobre au 21 novembre dernier s’est déroulée, au Népal, la 6ème édition du SoluKhumbu Trail. Avec son format démesuré (300 kilomètres et de 20 000 m de dénivelé positif) cet ultra, couru par étapes (15 au total), fait désormais partie du rêve que tout coureur avide de grands espaces himalayens espère un jour voir se concrétiser dans sa vie.
Une quinzaine de coureurs se sont alignés sur cette course cette année. Cette faible participation a permis de favoriser une ambiance chaleureuse et solidaire où les coureurs sont vite devenus des compagnons de route à défaut d’être des compétiteurs acharnés. Il faut dire qu’avec un organisateur comme Dacchiri Dawa Sherpa (*), la dimension de la course prend vite un autre sens. Dawa, formidable ambassadeur de son pays, a favorisé une totale immersion des traileurs dans un Népal authentique. Ses motivations et aspirations profondes sont bien loin de celles des agences de trek qui ne se contentent que de passer, que de traverser une région. Avec Dawa, les portes des monastères et des écoles s’ouvrent, les pujas pétaradent, les habitants vous accueillent à bras ouverts dans leur modeste demeures, les courses de porteurs s’organisent. La ligne d’arrivée et le classement final sont rapidement oubliés ; le cheminement devient source de bonheurs sans cesse renouvelés ; le cheminement devient la motivation première du coureur.
Quoi de plus futile que de vouloir battre un concurrent ou pulvériser un record dans un tel contexte ?… quand l’adversité, la fatigue, le froid, l’altitude resserrent les liens, renforcent l’esprit de solidarité et d’entraide, quand l’autre passe avant soi. Comment traverser un tel pays l’œil rivé sur sa montre-gps ou sur ses chaussures ? Quand tout au Népal invite à prendre son temps et à savourer pleinement les cadeaux offerts en permanence par les paysages sillonnés. Tout invite à ouvrir les yeux ; la notion de « courir l’instant présent » prend ici toute sa force. Tout est prétexte à progresser lentement (« Bistaré ! » disent les Népalais) ; que ce soit les rencontres avec les autochtones et leurs enjoués « namasté », les lieux magiques traversés (lac de Dodhkhunda ; passages des hauts cols d’altitude à 5 300 m comme le Renjo Pass, le Gokyo Peak, le Chola Pass ou le mythique Kalla Patthar, 5600 m), la dimension spirituelle (stupa, mani, drapeaux) qui emplit les lieux d’une sérénité communicative, la technicité des chemins qui oblige à la prudence, l’oxygène raréfié qui foudroie les organismes empressés… Des moments d’une intensité si forte qu’ils ne seront jamais des souvenirs mais des trépidations gravées à jamais dans le cœur des « Solukhumbers ».
Chaque jour a dévoilé son lot de découvertes. Au fil des journées, les étapes s’abordent sans stress, sans questionnement, sans à-priori négatifs, suivant une philosophie somme toute bouddhiste qui prône que « même les choses difficiles sont accessibles, elles ne sont que la somme de choses faciles »…
Et le Népal ne serait pas le Népal sans les Népalais. Qu’ils soient coureurs, staff, porteurs ou illustres inconnus croisés en chemin, les Népalais, ont dévoilé que, derrière les athlètes performants au sens aigu de l’engagement, se révèlent des êtres extraordinaires, toujours souriants, attachants, généreux, attentionnés, humbles et altruistes. « A les côtoyer quotidiennement, à mesurer leur degré de serviabilité et de gentillesse, à imaginer leur avenir… nous étions tous, pas par compassion mais par assimilation, un peu Sherpas au fond de nous. Et fiers de l’être !… Tous frères de Kala Patthar !… »
(*) secondé dans la deuxième partie du parcours par Patrick Michel de « Courir en Briançonnais ».
Jean-Luc Cadenel, Solukhumber 2013
Résultats scratch Solukhumbu Trail 2013
1 Pemba Sherpa (Népal) 32h50’
2 Lhakpa Sherpa (Népal) 33h57’
3 Manikala RaÎ (Népal) 41h41’ (1ère feminine)
4 Josette Valloton (Suisse) 47h04’ (1ère européenne)
5 Xavier Bunel (France) 52h48’
6 Jean-Pierre Dufour (France) 52h51’
7 Dany Eusebe (France) 53h40’
8 Thierry Suilhard (France) 53h54’
9 Frédérique Pariset (France) 55h58’
10 Jean-luc Cadenel (France) 57h03’
11 Lucien Colombani (France) 57h35’
12 François Sanna (France) 57h50’
13 Fabien Sauvage (France) 58h31’
14 Pierre Noel (France) 59h14’
15 Carole Lauk (France) 71h21’
15 Yves Reynier (France) 73h35’
décembre, 2024
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