Lorsqu’en février dernier, on me propose de participer au Pyrénéa Trail Tour dans le cadre du GRP, j’étais loin d’imaginer l’état de forme dans lequel j’allais me retrouver à la fin de ce trail à étapes.
J’avais déjà expérimenté la formule de trail à étapes lors de l’Un Tour en Terre de Jura, il y a 3 ans. Mon dernier trail remontait à l’Ut4m 2018 pendant lequel j’avais suivi un couple d’amis belges pendant 90 km. Pendant les 5 mois qui ont précédé le GRP, j’ai rencontré une série d’obstacles qui m’ont empêché de penser un début de préparation. Dans un premier temps, ces sont des soucis musculaires qui m’ont obligé à retarder ma préparation. Mais en juin, une blessure à la clavicule provoquée par une chute en VTT me contraint à 8 semaines d’arrêt de la course à pied.
Quelle décision prendre ?
Cela signifiait une reprise de l’entrainement moins de 15 jours avant le GRP. Une personne « dite raisonnable » ne se poserait pas la question et accepterait malgré sa déception de renoncer à participer à cette épreuve. L’environnement joue un rôle primordial. Pendant ma période d’arrêt, j’ai toujours entretenu ce petit espoir de pouvoir prendre le départ. Je me forçais à croire qu’en jouant avec les barrières horaires, je pourrais aller au bout de l’aventure, même si ma préparation était inexistante.
Participer à un gros trail seul ou en groupe, ce n’est pas la même chose. Nous partions à 7 coureurs sur cette évènement. Souvent, je gère l’aspect logistique mais aussi la préparation et l’entraînement de certains coureurs. Le fait de faire partie d’un groupe, rend beaucoup plus difficile la prise de décision à renoncer au projet. L’effet de groupe peut être à double tranchant.
Lors de ma reprise de la course à pied, 10 jours avant le départ, je prends la décision de faire le déplacement et d’accrocher le dossard. Personne ne me tire le signal d’alarme. Faire le déplacement et seulement assurer la logistique et l’assistance ne me convenait pas.
1ère tape : 40 km 2800m de D+ Départ Vielle Aure . Arrivée Pic du Midi :
Il est 5h45. Je suis au départ auprès de mon équipe Jean-Claude, Thierry, Céline, Bernard, Alain et Matthias. Nos préparations sont différentes, mais l’objectif de tous est de profiter du moment.
Les conditions météorologiques sont annoncées excellentes pendant ces 3 jours. Tout semble réuni pour vivre un moment exceptionnel.
2 jours avant, je me déplace 2 vertèbres bêtement chez moi. Sur la ligne de départ, je sens que la séance d’osthéo n’a pas produit ces effets. Le doute est là mais je le gère depuis des semaines déjà.
Sur cette première étape, nous partons en même temps que les coureurs de l’ultra 220. Il y a un profond respect qui est palpable. Les 10 premiers km passent assez vite avec le levée du jour. Je suis parti dans les derniers et je peux courir sur des sections assez roulantes. Les premières pentes me permettent de régler mon pas. Suite à ma blessure à la clavicule, je ne peux pas utiliser de bâtons. Je savais que cela allait être un gros handicap à court terme.
Vers le 12ème km, sur une succession de parties pentues, les douleurs dorsales apparaissent. J’essaie de profiter du paysage malgré tout.
Malgré la douleur, j’essaie de courir sur les parties faciles. Je prends quelques photos sur des vues incroyables. Du mode coureur reporter, je vais vite passer au mode coureur enfermé dans sa bulle.
Arrivé à Payolle au premier ravitaillement après 20 km de course, je prends le temps de remplir ma réserve d’eau et d’avaler quelques biscuits salés.
A cet instant, je ne sais pas où sont vraiment mes compagnons. Les quelques embouteillages de début de course nous ont éparpillés.
Pendant 7/8km, le circuit est propice à la course. Cela me convient mieux mais je continue de gérer ma posture pour limiter les douleurs. Je suis dans ma bulle et j’avance. Ce n’est pas l’aspect sportif qui me gêne à ce moment. C’est de se dire que je traverse des sites magiques et que je ne suis pas capable d’en profiter pleinement.
Au moment d’aborder les 12 derniers km de montée vers le Pic du Midi, je m’en veux d’avoir pris le départ dans de telles conditions. Les montagnes sont superbes, variés.
Les mains sur les hanches, je vais monter pas à pas vers le col du Sencours. Il me faudra une dizaine de pauses avant de pouvoir atteindre ce ravitaillement. Des idées me traversent l’esprit. « Ce soir, je plie bagages, je prends un taxi pour m’emmener au premier train. » Des coureurs autour de moi sont livides. Je n’ai pas l’impression d’être beaucoup mieux. Les services de secours sont là à l’entrée du ravitaillement et scrutent les attitudes des coureurs les plus touchés.
Je ne me plains pas et profite du ravitaillement pour m’asseoir. A mes côtés, 2 coureurs toulousains sont surveillés de près par les secours. A ce moment-là, je me dis que je vais y passer aussi, mais Thierry mon équipier arrive au même moment. Il est bien entamé aussi par cette montée interminable.
Nous nous encourageons et nous partons pour la dernière partie vers le Pic du Midi. La pente est parfois moins raide. On pourrait normalement courir. C’est inconcevable à cet instant. Cette montée est un véritable chemin de croix. Nous doublons des touristes mais les parties pentues sans bâtons sont difficiles. Nous atteignons la plate-forme du Pic du Midi et l’arrivée après 6h30 de course.
Le site est unique, mais nous avons énormément de mal à en profiter. C’est un mélange compliqué de sentiments : être dans un lieu pareil, dans un état physique aussi pitoyable.
Pendant le retour à l’appartement, ma décision est prise. Je ne repartirai pas le lendemain. Je me retrouve confronter au groupe qui fait le maximum pour me faire changer d’avis en pensant que j’étais capable de poursuivre. Je n’avais plus envie. Je ne voulais pas m’infliger la même souffrance. Mes proches que j’avais eus au téléphone me confortaient dans ma décision. Au moment de me coucher, c’est acté.
Etape 2 : Vignec Kilomètre Vertical – départ 7h15 / 1000m de D+ pour 4.3 km
Il est 7h. Je suis sur le point de m’élancer pour ce kilomètre vertical, format que je n’ai jamais couru jusqu’alors.
La nuit porte conseil dit le dicton. Fortement sollicité la veille par le groupe pour reprendre le départ, j’ai cédé à la pression.
Les départs s’échelonnent toutes les 20sec entre 7h et 08h, dans l’ordre inverse du classement de la veille
Je démarre en trottinant sur la petite route pas très pentue, jusqu’à l’entrée dans le bois.
Là, ça se corse, et sans les bâtons, ce n’est pas une mince affaire. Potentiellement, ceux qui sont devant moi sont moins rapides, donc je commence à doubler…Il en sera ainsi jusqu’au 3/4 de la montée. Je me mets dans les traces d’un coureur du secteur avec qui j’ai sympathisé. Je prends son rythme et nous doublons parfois péniblement sur du hors-piste avec des appuis difficiles.
Sans trop forcer je termine en 1h03. J’aurai pu imaginer que la mauvaise journée de la veille était un mauvais souvenir. Malheureusement, les deux heures à patienter avant le départ de la 3ème étape, me rappelleront très rapidement que mon état physique n’était pas compatible avec cet enchaînement.
Les douleurs dorsales reprennent leurs droits et une fatigue intense m’envahit. A 15 min du départ, je suis d’une humeur détestable et j’envoie paître mes compagnons Noyonnais lorsqu’ils viennent m’encourager.
Etape 3 : Pla d’Adet --> Vielle-Aure, 36km, 1640m D+ – 2450 D-
Le départ est assez rapide, d’abord relativement plat, avant d’attaquer assez vite la première difficulté, une ascension de 590m sur 5,5km, en 2 phases, avec une petite relance au milieu.
J’essaie de rester avec Thierry, alias Mentos. Mais après 20 min de montée, la lassitude me gagne.
Je prends conscience que je ne suis pas prêt à marcher longtemps sur de telles pentes, sans bâtons et avec un mal de dos féroce. Ma vitesse moyenne dégringole.
Un troupeau de plusieurs centaines de moutons emmené par un mini « Kylian Jornet » de 10 ans nous coupe la route quelques minutes. Cet instant de répit, je m’en souviens encore très bien. C’est l’un de mes souvenirs les plus clairs. La suite de l’étape, j’ai d’énormes difficulté à m’en souvenir.
Le passage du col de Portet (2217m), cela ne me parle plus du tout…
J’ai le souvenir de cette descente sur piste de ski très large et roulante, jusqu’au premier ravitaillement, à Merlans, km 7 (alt 2040m).
Ensuite, ce seront des sentiers étroits vers une longue montée (445m D+ sur 5km) vers le point culminant du jour. Pour écrire ce témoignage, j’ai besoin de la carte de l’étape. Je prends maintenant conscience que j’étais vraiment dans un état second. Je me rappelle que nous étions dans la région des lacs (Lac de l’Oule, Lac du Milieu, Lac Supérieur). Les passages de plus en plus techniques et les nombreux pierriers pour arriver au Col de Batanet (alt 2485m) m’ont marqué car je suivais le rythme imposé par une longue file de coureurs.
J’ai oublié la descente avant l’ascension, en lacets, jusqu’à Hourquette de Caderolles (alt 2476m. D’après mes amis, on pouvait y voir de là-haut d’autres lacs au loin… Moi je n’ai rien vu…
Ensuite, une descente très technique nous emmenait vers un énorme pierrier que j’ai eu du mal à traverser, faute d’équilibre. A la sortie de cet obstacle se trouvait le Lac de Port-Bielh. J’y vois un coureur assis en difficulté. Je vais y tremper ma casquette et je lui demande s’il a besoin d’aide. Il me répond que ça va et que l’eau du lac a bon goût . Je me souviens de son visage en me regardant et me demandant à son tour si j’avais aussi besoin d’aide…
J’étais décomposé et à priori cela se voyait. Je décide de m’asseoir. La photo en témoigne, ce n’était pas la forme olympique.
Mes amis belges, Céline et Bernard arrivent à ce moment, frais comme des gardons. Leur tête en me voyant n’est guère rassurante.
J’ai un sursaut et je tente de repartir avec eux sur une partie assez roulante. J’ai l’impression que cela va vite. Je parviens à suivre le tempo une vingtaine de minutes. La chaleur commence à se faire sentir. Habituellement, cela ne me déplaît pas . Mais ce jour-là, la température est une contrainte de plus à gérer. A chaque ruisseau, je me rafraîchis à noyant ma casquette.
Céline fait une pause. Je les avertis que je continue tranquillement. J’estime alors que le ravitaillement n’est pas très loin. Se dresse alors une côte banale et je coince complément. Bernard et Céline me dépassent et je ne les reverrai plus avant l’arrivée.
Je progresse péniblement en marchant jusqu’au ravitaillement à Merlan. Au loin j’aperçois déjà le duo belge repartir.
A l’entrée, un jeune garçon me propose de me remplir ma poche à eau. Je galère pour lui donner sans trop lui faire peur. Je prends mon temps en m’installant à une table. Pour moi, le temps s’est arrêté. J’avale quelques verres de coca et j’observe ce lieu insolite. Des blessés sont sur le point de redescendre vers l’arrivée en véhicule. Je les envie presque. Je reste discret car je ne veux pas être repéré par les services de secours. Je m’imagine bloqué dans un service hospitalier sous surveillance médical… Alain mon copain d’enfance, arrive alors. Il me secoue et m’encourage à repartir avec lui. A la vue de la bosse à venir, je lui conseille de continuer sans moi. Il insiste et je m’accroche. J’ai mal, mais j’ai surtout plus d’envie. Je serre les dents et j’avance mécaniquement en fixant un objet devant moi.
Quelques marmottes sont là au bord de la piste. Non, non ce ne sont pas des hallucinations. Alain les a vues aussi !
Au sommet, au Col de Portet, j’insiste encore auprès d’Alain qu’il fasse sa course. Je ne veux pas lui gâcher cette étape. Mais je vois bien qu’il n’est pas très rassuré sur mon état. Je réponds à peine à ses questions.
Il reste 14 km de descente… soit 1420 de D-. J’essaie de trottiner mais je ne parviens pas à placer mes pieds où je veux. Et chaque appui hésitant se traduit par une vive douleur. Je reprends la marche et les nausées apparaissent.
Finalement, mon Saint Bernard, Alain se décide à poursuivre seul. Il reste alors un peu moins de 10 km. Il me faudra presque 3 h pour les parcourir.
Pendant cette descente, impossible de m’alimenter. Gel, pâtes de fruit ou d’amande… tout me dégoûtait. 3, 4 puis 5 pauses de 5 min pour reprendre mes esprits. Il me restait alors un peu de lucidité même si les vertiges commençaient à m’inquiéter. Je me demandais ce que je devais faire. Stopper et prévenir les amis pour venir me chercher au bord de la prochaine route traversée? Je craignais toujours d’être pris en charge par les services de secours… La suite, ce sera encore et toujours une galère, en titubant parfois, jusqu’à l’arrivée. J’entends mon téléphone vibrer. Mes amis s’inquiètent à l’arrivée avec les témoignages des uns et des autres. Je n’avais pas envie de rappeler. Au bout de ma vie, je n’avais eu forcément les meilleures attitudes. Depuis 5 /6 km, je pense qu’il reste 2 km… quand enfin j’aperçois le panneau 2 km. J’essaie de courir à faible allure. Je fais 2 pauses et je repars. Le public est de plus en plus nombreux sur cette piste ombragée qui rejoint le bourg de Vieille Aure. Dans le parc, parmi la foule j’entends : « Il est bizarre lui ! » En référence à mon visage livide. Après un virage à gauche, je vois l’arche devant moi et j’entends mon équipe m’encourager. Je franchis la ligne. Sans joie. Les dents serrés. Je suis en colère contre moi-même de me retrouver dans un état pareil. Je retrouve mes amis. Leurs visages parlent d’eux même. Je ressemble un zombi. Jean-Claude et Thierry qui me connaissent depuis longtemps ne m’ont jamais vu ainsi. Ma montre indique 7h46 pour 38km…
L’aventure s’arrêtera là. J’ai tenté de me réhydrater et de m’alimenter. Du coca du coca…
Je changeais de casquette et prenait celle d’un assistant. Celle que j’aurai dû choisir dès le début de ce GRP.
Après une nuit blanche, conséquence de cette fatigue accrue, je gère le transfert de notre groupe de Saint-Lary Soulan à Piau.
Samedi 24 : étape 4, Piau --> Piau, 25km, 2060m D+- 9h max
Accompagné de Noé, le fils d’Alain, j’ai pu profiter enfin des paysages de ces belles Pyrénées.
Après avoir pu encourager le groupe sur la fin de la première descente, nous avons pris position au- dessus du tunnel de Bielsa à proximité du ravitaillement. Le panorama est unique et nous avons la possibilité d’encourager les coureurs à 2 reprises près de la frontière franco-espagnole.
Enfin l’arrivée échelonnées des amis fait oublier la fatigue. Tous seront finisher ! Chacun a vécu ce GRP différemment avec des hauts et des bas et des expériences variées. Vivre un trail par étapes est une aventure extraordinaire où l’entraide, l’humilité sont primordiales. Au final, c’est une amitié décuplée qui jaillit après tant d’efforts et de fatigue.
Le Grand Raid des Pyrénées ne fait pas de cadeau. Il se mérite. Je retiendrais que l’esprit de groupe est à double tranchant. Il permet de se dépasser mais aussi de commettre des erreurs.
Le Grand Raid des Pyrénées est une épreuve où il règne cet esprit si particulier : beauté des paysages, difficultés des tracés, investissement total des bénévoles. Mon expérience reste très paradoxale, où dans ce paradis pyrénéen, mon défi s’est transformé en véritable chemin de croix. Si dans les premiers jours qui ont suivi ce périple, je ne pouvais plus entendre parler de trail, de montagne ou de pierre, peu à peu, l’envie de revanche est apparue.
Il n’est donc pas exclu que je tente de défier à nouveaux le GRP, mais avec une préparation digne de ce nom en laissant de côté l’esprit « brin de folie ».
Par Xavier Boulanger – crédits photos / Grand Raid des Pyrénées 2019 – www.photossports.com
novembre, 2024
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