« Bah oui frérot, la SaintéLyon, c’est comme un Paris-Brest, ça se savoure et ça se mérite ! Si tu veux décrocher la couronne, faut envoyer la pâte à choux et prendre des risques, quitte à payer les amandes au prix fort. Attraper le taureau par les Cornes de Gazelles. Surtout si c’est une antilope qui galope aux avant-postes. Surtout, si Alexandre Fine, le pâtissier rouleau-compresseur qui utilise le rouleau de pâtisserie pour marbrer, glacer et concasser la concurrence, est dans la place.
Tu vois pas c’est qui ? Mi-boulanger, mi-traileur, voici venu un lève-tôt parmi les couche-tard, plus habitué aux lueurs de l’aube qu’à celles du crépuscule. Champion de France en titre. À 21 ans. Celui qui ne rentre pas dans le moule. Celui qui façonne ses victoires comme il pétrit son pain, avec fermeté et délicatesse. Celui qui, en bon métronome, cale ses allures au verre doseur. Un gros moteur et un coeur de Pierre Hermé-tique à la pression.
23h. Sainte-Catherine. La SaintExpress c’est pas l’Orient-Express pourtant, à cette heure, les crêtes lyonnaises ressemblent aux steppes Est-européennes. Hostiles et silencieuses. La SaintExpress c’est pas l’Orient-Express pourtant, au départ, quelques TGV sont garés à quai. Prêts pour la grande aventure. 45 km et 1100 de D+. Faudra pas rater le bon train, car ici il ne passe qu’une fois. Tenter d’accrocher le wagon de tête alors que la sérénité a raté sa correspondance.
Plus que quelques secondes avant de s’élancer dans l’inconnue, de plonger dans une Forêt Noire. Pas besoin de croiser une Religieuse pour comprendre que ce soir ça va être mon baptême du feu… « Allez, arrête ! N’en fais pas des tonnes. » Ni des Panettones. Rien ne sert de faire des plans sur la comète, ni de Spéculoos sur un éventuel résultat. T’es pas trader ni Financier à ce que je sache. Écoute tes sensations plutôt que les statistiques. Surtout que les conditions s’annoncent tropicales : chaudes mais humides. Certains ont opté pour la technique du Mille-feuille en multipliant les couches, alors que moi j’ai choisi le minimalisme, les pompes de Trail en guise de pneumatique. Bah ouais, si tu veux jouer devant, le Chausson ça compte pas pour des pommes.
Dès le deuxième hectomètre, Alex prend les choses en main. « Ok, il fait pas semblant, il fait Pain dans le De Mie mesure ! » Je sais que le contremaître des Épis de blé aime les débuts de course Épicés. Pendant quelques minutes, j’aperçois au loin le faisceau de la frontale de l’Épicurien. Et pis plus rien ! Du coup, avec l’ami Sébastien Hours, on se retrouve entre Épiciers du coin. Décidés à gérer notre effort pour s’éviter un Épilogue Épineux. En garder un peu sous le capot pour être sûr d’assister au prochain Épisode.
Assez rapidement, je prends conscience que les sensations sont bonnes. L’impression d’avancer à un rythme doux et moelleux, d’avoir une foulée souple et onctueuse, comme si je cavalais dans la Brioche. Arrivé sur les crêtes, au km 10, le vent se lève. De Dieu, ça souffle fort là-haut. Faut lever la pâte et allonger la foulée ! L’esquisse d’une longue balade obscure et solitaire se dessine.
Je découvre et j’apprends. Sur la SaintéLyon, la vigilance c’est comme la praline : l’ingrédient principal de la recette du Succès. Parce que ton Tatin-mar, clairement, c’est pas de la Tarte ! À Flan de colline, un appui de travers et c’est la Gaufre assurée. Une attaque talon mal-assurée et tu pars aux fraises. Avec ou sans Charlotte. Un petit moment d’inattention et me voilà égaré. À 2 reprises. Quelques secondes délaissées. Pas grand-chose mais déjà beaucoup trop. À ce rythme, rattraper Alex, c’est Pain perdu. Ce soir j’ai oublié ma Rose des Sables et avance désorienté, mais qu’importe, je garde le cap. De toute façon, il parait que tous les chemins mènent à Baba au Rome.
À être parti ainsi, prudemment, les sensations deviennent savoureuses et l’appétit gourmand. Un bouquet de Profiteroles. Alors profite et roule gamin ! Parait qu’en plus, vaut mieux mourir debout que vivre à genoux. Du coup, j’accélère et cours de plus en plus vite dans la boue une fois passé Saint-Genou.
Premier ravitaillement. Km 24. Je passe aux stands avec 1 min 30 de retard sur Alex. Surprenant. J’imaginais que l’écart serait plus conséquent. J’avais même évincé la victoire de mon champ des possibles. Je m’enorgueillis. Seulement un peu.
28ème kilomètre. La fougue rappelée à l’ordre par la menace du fameux Mur des 30. Cet instant précis où la ligne d’arrivée, distante de 16 km, n’a jamais paru aussi lointaine. Un sale Quatre-quarts d’heure. Aller mon frère, visualise le Pain d’Épices de La Madre, ça donne de la force. La stratégie du Cannelé. Même si t’as les cannes légèrement caramélisées par l’effort, évite de faire ta pâte molle.
Tous les kilomètres, je pense au Padre. Celui qui est au four et au moulin. Celui qui se caille les Miches et joue de la Flûte de pan avec ses doigts pour réchauffer des mains endolories par le froid. Celui dont chaque encouragement me remobilise instantanément. Un coup de Baguette magique. Comme une Tradition. Tous les kilomètres, je me répète inlassablement « T’es dans ton match ! », « T’es dans ton match ! » … Un refrain comme Ficelle conductrice de la performance. Lâche rien, celle-ci faut aller la chercher pour l’équipe. Imagine, une belle consécration collective et partagée pour clore la saison. Lâche-rien, cette course c’est Lenôtre.
Enfin, Chaponost. Deuxième ravitaillement. Km 34. Plus que 11 bornes. Le moment de vérité. Celui où tout va basculer. Je demande les écarts. Si ceux-ci sont annoncés Croissants, alors je peux m’en aller chercher les Chocolatines et jeter aux oubliettes mes quelques miettes d’ambition secrètes. Le Padre divulgue : « Alexandre est à moins de 2 minutes ! ». Un Éclair fourré de lucidité, une petite once d’espoir. On entre dans la 3ème heure de course, la 25ème de la journée. Putain ! Et si c’était possible ?
À l’horizon, une nébuleuse de lumières. La métropole. On quitte peu à peu les chemins pour le bitume des zones urbaines. Plus que les jambes, ce sont les pieds qui me font souffrir. De belles ampoules, ravivées par l’humidité. Ça couine et ça fait mal. Promis, la prochaine fois, je beurre mes semelles au Kouign Amann. Pourtant, au km 40, à 5 bornes de l’arrivée, sans trop m’en rendre compte, perdu dans le flot des coureurs alignés sur des distances plus courtes, je rattrape Alex, saisi par les crampes.
Invraisemblable. Ça va se finir aux coudes-à-coudes cette histoire. Tant mieux, c’est bientôt la saison des Bugnes. Je mets les deux pieds dans le plat de Clafoutis. Pas fou mon petit gars, l’opportunité ne se représentera peut-être jamais. Ne la Gâche pas celle-là ! Porté par l’euphorie, j’attaque. Je donne tout ce que j’ai. Même ce que j’ai pas, je le donne. Quitte à finir sur le carreau. Ou le Carrot Cake.
Moins d’1 km me sépare désormais de la Halle Tony Garnier. Dans ma tête, c’est un panier garni. Une grande symphonie des émotions, une ode à la joie, un Opéra philarmonique et chocolaté. Quelle putain de fierté ! Je suis si (Saint-) Honoré de terminer devant une telle pointure. Ce soir, j’ai pas braqué la banque mais la boulangerie. Le casse du siècle ! Je repars avec le beurre, l’argent du beurre et les grâces de la crémière. Je suis comblé, cette SaintExpress, c’est la cerise sur le MacDo. »
Par Baptiste Chassagne, vainqueur de la SaintExpress 2018
décembre, 2024
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