Un témoignage de Claude, 62 ans, ultra-trailer confirmé, victime dernièrement d’un accident cardiaque, dont il se remet petit à petit. Il commence demain une rééducation cardiaque, afin de découvrir ses nouvelles limites, avec le profond espoir de connaître de nouveau le bonheur des ultras dans quelques mois…
« La nuit s’apprête à tomber, le ciel est couvert, un petit vent pas très chaud me caresse et me fait frémir légèrement. C’est le moment. Je stoppe, enlève mon sac à dos rapidement pour sortir une veste légère mais isolante du vent et de la fraîcheur, que j’enfile. Je fouille au fond de mon sac pour trouver une petite pochette d’où j’extrais une frontale. Je la referme soigneusement pour ne pas perdre ou égarer au fond du sac ma batterie de rechange. Et je repars rapidement, tout en enfilant et rattachant correctement mon sac à dos. La nuit va être longue, une fois de plus. Un léger stress m’envahit, comme à chaque fois.
C’est à nouveau une entrée dans l’inconnu. L’obscurité, un terrain inconnu, des conditions météos qu’il va falloir gérer au mieux si ça tourne au vinaigre, éviter la chute, gérer le sommeil qui peut me gagner à tout moment, ne pas se perdre. Et pourtant une certaine excitation me gagne. Un challenge dans le challenge que représente tout ultra trail de longue distance, de 2 à plusieurs jours. Chaque nuit apporte son lot de surprises et d’inquiétude, de déception parfois mais très souvent d’un plaisir qui m’envahit au plus profond de mon être, sans traces extérieures, lorsque le jour se lève.
Le paysage se découvre à nouveau, les premiers rayons de soleil viennent réchauffer un corps un peu engourdi, et mon cerveau repasse en mode standard. C’est à la fois un petit soulagement de retrouver ses repères habituels, mais aussi une petite nostalgie de quitter cette ambiance feutrée, obscure, ou tout peut vous surprendre. Un cri de bête qui serait passé inaperçu de jour, une odeur végétale qui réveille vos narines, une silhouette de montagne qui vous écrase, un bruissement d’arbres qui vous fait sursauter dans la torpeur qui s’est installé peu à peu en vous. Comment expliquer cette attirance à repartir ainsi une nuit complète à courir et marcher car vous ne guettez qu’une chose, cette petite lumière à l’horizon qui vous indique que ça y est, le prochain ravitaillement est enfin là ;je vais retrouver un peu de chaleur humaine et de vie. Notre moral, ou plutôt notre ego, nous attire inlassablement vers ce qui peut nous réconforter, nous apporter de la douceur, du confort. Et notre âme, celle qui gère notre inconscient, nous fait vibrer dans notre fond intérieur pour retrouver ces sensations inhabituelles, et qui définissent notre vrai plaisir, notre bonheur, à affronter des situations à l’opposé, à lutter contre une adversité sournoise et inconnue. L’orage en haute montagne, le brouillard, le froid, la fatigue, une blessure, et votre nuit se transforme en cauchemar si vous n’avez plus assez de lucidité à gérer la situation. Surmonter la difficulté dans une société où tout est fait pour vous assister, où l’on nous transforme en objet de consommation, ne serait-ce pas le vrai fondement de ce plaisir indescriptible qui nous pousse à revivre un nouvel ultra trail à peine celui-ci fini ?
Assis dans mon fauteuil, à la tombée de la nuit, des larmes se dessinent au coin de mes yeux en revivant tous ces moments de joie et de peine vécus à travers la cinquantaine de grands ultras courus depuis 11 ans. Vais-je pouvoir le revivre ? Bon sang, pourquoi moi ! Pourquoi !
Pas d’explications sur ce qui vient de m’arriver, si ce n’est le « Pas de chance » que je m’entends dire par les spécialistes. Aucun facteur à risque, toutes les analyses sont bonnes, et me voilà cloué sur un lit d’hôpital. L’avenir est loin d’être sombre quand même, dans quelques jours je retrouverai une vie normale, enfin presque.
Courir des ultras trails m’a apporté une bonne connaissance de moi-même, de mon corps, de mon moral, de mon âme. Et si je dois d’être encore en vie, ma vie saine et sportive y est certainement pour beaucoup. Le docteur du SAMU venu me chercher en hélicoptère m’a diagnostiqué de suite l’infarctus sur l’électrocardiogramme, et m’a fait observer que j’avais de la chance, une personne sur deux n’y réchappant pas. Têtu, nous le sommes tous dans nos courses, où nous cherchons à repousser nos limites toujours un peu plus loin. Heureusement, cette fois j’ai su arrêter avant de pousser trop loin le bouchon, les sensations ressenties étant assez inhabituelles. L’écoute de mon corps et non de mon mental qui me disait « Vas-y doucement, ça va finir par passer et la forme revenir comme souvent », m’a certainement préservé d’une issue fatale.
La vie n’est qu’une suite d’expériences à vivre. Dans quelques mois, je saurai définitivement si mon cœur me permettra ou pas de re-courir des ultras, après la rééducation cardiaque. Si je ne peux plus, il me faudra passer à autre chose, plus adaptées sur un plan sportif à mon nouvel état. La déception me gagnera très certainement, il faudra faire avec et se trouver de nouveaux challenges pour continuer à aller de l’avant. Dans tous les cas, pas question de finir mes jours dans un fauteuil. Un nouveau défi à construire et à vivre que je devrais relever.
Quelle belle leçon de vie tout de même que vivre un ultra-trail de longue distance… Un grand MERCI à tous les organisateurs et bénévoles qui nous permettent de vivre des moments exceptionnels au plus profond de notre âme. A bientôt j’espère, amis coureurs, organisateurs et bénévoles.
novembre, 2024
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