COURIR D’AMOUR & D’EAU FRAÎCHE
Cette nuit-là, Cupidon m’a décoché une flèche. Cette flèche qui t’indique le chemin pour rallier Saint-Etienne à Lyon. Cette flèche que tu suis comme l’étoile du berger. Celle qui te fait croire en ta bonne étoile. C’était la nuit du 1er décembre. Pas celle du 14 février. Et pourtant, cette nuit-là, une idylle est née avec celle qui 5 ans plus tôt m’a donné des idées. L’idée de courir, de plus en plus sérieusement. Une idée fixe. Un idéal. Presque une idéologie. Faire idem que tous ces idoles d’un soir qui, chaque hiver, rivalisent d’idioties pour séduire la Doyenne idolâtrée.
Cette nuit-là, chère SaintéLyon, je suis pour la première fois venu garnir ton peloton de courtisans. Avec humilité, diligence et respect. Je t’ai respecté car je suis venu lorsque je me sentais prêt. Prêt à allumer ma frontale. Prêt à quitter une cité au passé minier pour rejoindre la ville lumière. Prêt à écrire, d’un long faisceau lumineux, le trait d’union entre les deux plus belles bourgades du monde. Celle que j’aime et celle où j’habite. Prêt à aller au combat. Car il paraît que celui qui triomphe de tes charmes, c’est pas le meilleur, c’est celui qui a le plus envie. Cette nuit-là, crois-moi, j’avais l’envie.
Sur le trajet qui mène à ta ligne de départ, j’écoute attentivement les mots du conseiller conjugal Garrivier : « Tu sais, la SaintéLyon, elle se court avec une volonté de fer et un cœur de pierre. Même si c’est la saison des artichauts. La Doyenne, elle se court avec le cœur sur la main. Pour pouvoir, au moment opportun, lui demander sa main, lui passer la bague au doigt et la frontale au cou… »
À 30 secondes d’entamer les préliminaires, je bouillonne intérieurement, je balbutie secrètement. Suis-moi je te fuis… Fuis-moi je te suis… Je pense donc je suis… Je pense donc je fuis… Ah non, impossible de se défiler désormais. Plus aucune échappatoire. Un sourire. Un frisson. Une question. Pourquoi tu cours-déjà ? Une réponse. Pour vivre ces instants précis. Ces instants précieux. Un top départ. La SaintéLyon, la 66ème du nom, est lancée. Pour 76 km et 2 100 m d’ascension cumulée.
Dès le début, tu m’évoques Tristan & Yseult. Un triste temps. Je n’en crois pas mes yeux. Le parapluie est de mise. À défaut du filtre d’amour, tu m’annonces sans-filtre, qu’en réalité, tu as fait un tabac. Que les concurrents seront nombreux. Près de 8 000. Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche. Et c’est pas des éclopés qui courent la clope au bec en plus. 3’20 sur le 1er kilomètre. 3’28 sur le deuxième. Et, il en reste 74… Tes prétendants, c’est pas du chiquer ! Nom d’une pipe, c’est bon ça ! Ça fait fumer le bitume de Sainté.
Même si ce soir, tu n’es pas recouvert de ton long manteau de Blanche Neige, nombreux sont les princes qui, entre deux miroirs d’eau, croisent le fer pour devenir Roi. Aux avant-postes, ça joue des pieds et des 7 mains pour emmener le peloton. Déjà une heure que l’on s’écharpe entre noctambules, dans la pénombre de la forêt, pour se voir accorder les grâces de la Belle au Bois-Dormant. Le départ rapide a étiolé le régiment des prétendants. Au premier ravitaillement, après 18 kilomètres, il reste la Belle et ses quelques Bêtes. Les favoris. De bons bestiaux dotés de sacrés cuissots. D’ailleurs, tu sais, aucun problème, si tu acceptes de devenir ma Belle, je serai ton Clochard. Et je te mijoterai un plat de spaghettis sans-gluten à partager à l’arrivée. Comment ça je suis trop cavalier ? Ah ok, on verra plus tard !
Tes caprices s’intensifient. Je comprends rapidement qu’entre nous, ce soir, ce sera l’amour vache. Vache qui pisse. Ce soir, ce sera je t’aime moi non plus. Plus rien du tout. Plus rien dans les chaussettes. Quitte à terminer lessivé. Rincé. Jusqu’au caleçon.
Au km 25, suite à l’accélération de Sylvain Court et Cédric Fleureton dans de petits singles joueurs, le groupe se scinde en deux. Pour ma part, je freine des Quatre fers. Affronter les Quatre éléments ainsi exposé aux Quatre Vents, c’est un coup à se prendre un retour d’Est sous forme de bourrasque lactique. Et voir ses ambitions de gestion de course mature finir entre Quatre planches. Pour l’instant, ce sera donc un Quatre-Quatre-Deux relativement défensif avec le taulier Manu Meyssat. Il me rassure, il y a encore le temps pour durcir le Quadriceps. Je me félicite de cette tactique : en double vainqueur, le patron connaît les lieux comme sa poche. Pas besoin de déclencher les Quatre points cardinaux sur ces larges pistes de Quatre-Quatre.
Je suis galvanisé par la fierté. Chacun gambade de ses deux jambes certes mais j’écris mon début de course à Quatre mains, avec celui qui 5 ans plus tôt m’a appris à conduire et m’a donné envie de courir. Entre Quatre-yeux. Il m’avoue alors, trituré par la faim, voir des pizzas Quatre-saisons tournoyer au-dessus de sa tête. Heureusement, on aperçoit les lueurs de Sainte-Catherine. Pas une auberge, mais une sympathique taverne protégée de tentes blanches. Lucide, serein, j’arrive frais au km 32, non sans avoir puisé mais avec encore pas mal de réserves. Conformément au plan échafaudé avec le stratège Janichon. Profitant de sa présence et de celle de ma championne du monde de compère, Lucille Germain, et même si la SaintéLyon c’est pas la Fashion-Week, je décide de changer d’apparat. Victime du froid et de l’humidité, mon estomac commence à couiner. 3 minutes d’arrêt au stand certes, mais un arrêt qui me sera salvateur. Je repars au chaud. Surmotivé. Juste le temps d’entre-apercevoir Manu, attablé, en train de manger comme Quatre. Peut-être qu’il croit que c’est l’heure du goûter. À base de grandes parts de Quatre-Quarts. Devant, mes adversaires se comptent désormais sur les Quatre doigts de la main (l’auriculaire est congelé). Je m’enflamme un peu. Porté par l’espoir de remonter Quatre à Quatre les marches du classement.
Après 8 km parcourus en solitaire, en célibataire, le soufflet retombe. Ton romantisme se fait de plus en plus larmoyant. Des larmes de pluie. Un vrai chagrin d’amour. Par tes conditions dantesques exaltées, tu nous chatouilles l’amour-propre. Même si on est tous bien dégueulasses. Il pleut de plus en plus dru à l’heure d’entrer dré dans l’pentu. Premier coup dur. « Je sais que j’avais dit que je serais ton Roméo et toi ma Juliette mais viens finalement on finit le trajet en Alfa Roméo ! Je te prépare une petite Julienne de légumes et on revient en Juillet pour la course à pied ? Ça te va ? Attends, comment ça, c’est pas une attitude romanesque ? Comment ça c’est pas romantique ? Je suis d’accord que tous les chemins mènent à Rome, mais Roméo, il débarque de Vérone. Certes, chez nous on apprécie quand ça Montaigu, mais je t’avoue que là, Juliette, je préférerais qu’on se réfugie sous la couette. Oh… Fais pas cette tête… Aller, si tu veux on continue… Ah, et en plus c’est Shakespeare qui l’a dit ! » Soupire las. J’inspire, j’expire, c’est vrai que ça pourrait être pire. Un sourire, en contrebas, le troisième ravitaillement. Mince, personne. Je suis déstabilisé quelques secondes puis me remobilise instantanément. Un fait de course, de ceux avec lesquels « il faut savoir composer » dixit coach Simon. Je quitte Saint-Genou déterminé. Mieux vaut courir de boue que mourir à genoux.
À l’aube de franchir les 50 km, je sens monter l’énergie. Un pic de vitalité. Ces instants d’euphorie qui précèdent généralement les soucis. Pour arriver sans sourciller à Soucieu, je joue donc la prudence. Ne pas se laisser grisé. Et finalement, j’ai bien fait de lisser mon effort car n’ayant pas bu ni manger depuis une heure, l’hypoglycémie rôde désormais. Alors même que c’est censé être « maintenant que la course commence » …
Dans le gymnase, toute ma tribu est là. Ma famille. Mes potes. On m’annonce 3ème. Je suis surpris, je me pensais 5ème. La magie de la SaintéLyon : courir dans le noir, avancer dans l’obscurité. Je repars repu et gorgé de bonnes ondes. God bless mon crew et le thermos d’eau chaude miel-citron. Prêt pour un voyage sans retour. Prêt à me laisser emmené jusqu’au bout de la nuit, même si tu n’es jamais aussi démoniaque qu’après minuit. Rien à foutre, ce soir, je vais braquer la banque. Tu seras ma Bonnie, je serais ton Clyde. T’inquiètes pas là-dessus.
Mais ça y est, on est pas au 65ème km que déjà tu fais ta Romy Schneider. De loin t’as cru que je m’appelais Alain et tu as transformé tes petites flaques innocentes en lagons marécageux. La Piscine municipale. Je m’en fous, je pense à Edith Piaf et Michel Cerdan. Je sais que derrière, y a personne qui piaffe et tout le monde qui sert les dents. Je bastonne tout seul du regard. Les poings serrés. Ce soir, c’est pas moi qui baisserai la garde. C’est pas moi qui prendrai mon K-O. Uppercut aux pensées négatives.
Pourtant, quelques hectomètres plus loin, c’est Manu qui d’une droite m’allonge. Moi qui le pensais dans les cordes, je me prends un crochet ravageur. Même si j’ai encore de la force, impossible de le suivre. Il est survolté. Je me résigne. T’as pris ta leçon mon petit gars ? Ainsi vont les grands champions, jamais ils ne se couchent, jamais ils n’abandonnent leur ceinture.
Moins lucide, moins bravache, je me surprends et me déçois à me satisfaire d’une 4ème place pour laquelle j’aurais signé avant la course. Comme si elle avait anticipé ma défaillance mentale, ma tribu est là, juste avant que je ne passe à la barre, face au juge de paix : la montée des Aqueducs. De vrais Hooligans. De Sainté, ils ont rapporté l’ambiance des grands soirs dans le Chaudron. Je bouillonne à nouveau. Mieux vaut courir de boue que mourir à genoux. Je relance. Tant bien que mal.
À 1 km de l’arrivée, j’aperçois Romain Maillard. Le vice-tenant du titre. « La seule et unique opportunité » annoncée par le stratège Janichon devient palpable. La prophétie va peut-être se réaliser. « Quand elle se présentera, tu la reconnaitras. Tu auras une chance de faire quelque chose de grand. Une occasion de te faire rêver. Il faudra alors que tu la saisisses de façon instinctive. Que tu sois intuitif, animal. Que l’attaque sois tranchante. » Je porte en premier l’estocade. On entend Quasi plus un mot. On courbe tout deux l’échine comme Quasimodo. Pour faire sonner en troisième position les cloches de la Cathédrale Tony-Garnier. Surpris par la distance qu’il reste à parcourir, je me rends compte que je me suis dévoilé trop tôt, que je vais me faire contre-attaquer. Je craque, le cœur a ses raisons que la raison n’a pas. La VO2 a ses limites, celles de l’énergie que les jambes n’ont plus.
Je comprends vite que toi et moi, ce soir, chère Doyenne, ce sera de l’amour platonique. Une quatrième place. Une réalité qui s’échappe et à laquelle je ne pourrais toucher. Une médaille en chocolat faite de fèves de cacao chargées d’amertume. Un rêve auquel je ne pourrai réaliser aujourd’hui mais un rêve auquel je continuerai de m’accrocher.
Alors, chère SaintéLyon, à l’heure d’écrire la Quatrième de couverture, je vais te dire mes Quatre vérités. Sache qu’aux Quatre coins du monde, je te poursuivrai. Ma tribu Matryx en guise de de trèfle à Quatre feuilles. Pour toi, je vais me mettre en Quatre. Prêt à me relever de chacun de tes Quatre-cents coups. Dégueulasse dans ma tenue de gala mais tiré à Quatre épingles. Prêt à finir à Quatre-pattes en te récitant de langoureux Quatrains. Certain que tu sauras récompenser ma persévérance l’un de ces Quatre matins. Un matin de décembre. À l’heure où le Soleil dort encore, tu ne pourras m’offrir plus beau cadeau pour ponctuer notre Lune de miel. Car tu ne récompenses pas les meilleurs, mais ceux qui ont le plus envie. À un de ces Quatre chère Doyenne !
Baptiste Chassagne
décembre, 2024
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