Ilet aux trois Salazes, Vendredi 20 octobre, 6h40 : Le temps suspend son vol. La Réunion s’illumine et se rassemble pour partager la plus belle histoire d’amour de l’île. (par Olivier Bessy)
Les premiers rayons du soleil éclairent depuis 5h30 les cimes qui surplombent l’îlet. Le Grand Bénare, la crête des trois Salazes, côté Mafate, le Gros Morne et le Piton des neiges en face vers Salazie, sont encore orangés. Les roses blanches, les géraniums sauvages et les aromes colorent les herbes vertes de ce jardin extraordinaire qui surplombe le cirque de Cilaos. Un petit paradis sur terre. Un balcon première classe. Un endroit idéal pour voir passer les coureurs et notamment la tête de course qui déboule à 6h40 baignée dans la lumière diaphane du matin.
Aurélien Dunand Pallaz déjà détaché et hyperconcentré ne prend pas le temps de s’arrêter pour s’hydrater et n’esquisse pas un geste. Il paraît blême et fatigué mais ce n’est qu’une apparence car il ira au bout de son objectif. Il est suivi à quelques minutes par un groupe de quatre composé de Germain Grangier, Jean-Philippe Tchoumi, Lambert Santelli et François d’Haene. Ils sont plus expressifs échangeant quelques mots avec moi. Ils profitent de l’eau de source mise à disposition. Signe annonciateur François D’Haene en abuse. Puis les coureurs s’égrènent de minute en minute avec des écarts déjà importants par rapport aux premiers.
Voir passer les coureurs à cet endroit et à ce moment de la course est tout simplement magique car la Diagonale des Fous exprime ici toute sa beauté, sa simplicité et son unicité. Une étape en résonnance avec le patrimoine naturel et culturel de l’île. Un condensé de Réunion. Un hymne à la vie, à la joie et à l’amour.
Magie du lieu
Situé à 1 500 mètres d’altitude dans le premier tiers du col du Taïbit sur un petit plateau au pied des trois Salazes, cet ilet réhabilité il y a 20 ans symbolise la Réunion préservée. Il s’agit d’un Espace Naturel Sensible (ENS) qui s’étend sur 10 hectares et présente une bio-diversité exceptionnelle. Il compte des espèces exotiques comme le châtaignier, le peuplier ou le frêne mais aussi des espèces endémiques comme le Bois d’olive, la Fleur jaune ou l’Ambaville vert, raconte Nathalie Hoarau, la maîtresse des lieux. La simplicité du sentier, la luxuriance de la végétation et la pureté de la lumière donnent une âme particulière à cet endroit pour accueillir les coureurs. La Réunion reflète dans ici une esthétique tropicale remarquable avec ses dégradés de vert et la crête des Salazes qui se découpe dans le ciel bleu.
Magie des hôtes
l’îlet est peu habité et ses habitants sont très accueillants avec tous les marcheurs et les traileurs. Attachés aux traditions créoles, les bénévoles de l’association proposent une cuisine au feu de bois, un accueil familial et des visites guidées du jardin. Ils installent le jour de la course un jet d’eau et une bassine pour faciliter le rafraichissement des coureurs. Ils proposent différentes boissons ainsi que des gâteaux pays. Ils encouragent ardemment tous les postulants. Ils viennent en aide avec beaucoup de solidarité et de générosité aux plus affaiblis. Une humanité exemplaire en somme à l’image de la Réunion Lontan!
Magie des breuvages
L’originalité de cet endroit tient aussi aux tisanes proposées composées de plantes aux vertus dynamisantes. « La montante » à base de géranium et de gingembre donne de l’énergie pour absorber le dénivelé vers le col du Taïbit et « la descendante » composée de camomille et de fleur jaune, favorise la plongée vers Cilaos. Si les premiers en abusent pas, la masse du peloton en consomme volontiers.
Magie des sonorités ambiantes
La musique à base de percussions fait partie intégrante des lieux et des maloyas chaloupés s’enchaînent au son du roulèr, du pikèr et du cayambe. Héritière des pratiques musicales amenées dans l’île par les esclaves, cette danse symbolise le combat contre l’oppression et donne des ailes aux coureurs. La Réunion exprime ici son histoire tourmentée mais aussi sa joie de vivre car cette île est marquée par un temps où des hommes traversaient, de part en part, ces terres perdues au milieu de l’Océan Indien et escaladaient les remparts volcaniques, pour échapper à leur condition. L’héritage marron plane particulièrement à cet endroit au-dessus la Diagonale des Fous.
Magie des coureurs
Ici on entend leur souffle avant de les voir, puis on les voit de près à moins d’un mètre, on peut même les toucher. L’effort qu’ils déploient pour vaincre le dénivelé prend une dimension particulière. Leur regard en dit long. Ils nous font passer un message d’effort et de courage. Ils puisent au fond d’eux-mêmes une force intérieure qui a quelque chose de transcendantale et qu’ils nous communiquent. Un spectacle vivant et simple loin des atmosphères ambiancées à grand renfort de superlatifs et de musiques trépidantes.
Reflet de l’âme, de la nature et de la culture de l’île, l’îlet aux trois Salazes est en perpétuel mouvement entre une dynamique centrifuge d’assimilation des valeurs occidentales et une force centripète de singularisation identitaire locale, à l’instar de la Diagonale des Fous. Quelle belle harmonie entre un lieu et un évènement à travers les symboles qu’ils représentent. La Diagonale des Fous opère une nouvelle fois sa magie.
Olivier Bessy.
décembre, 2024
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