De nombreux coureurs se demandent comment font nos champions et championnes de trail pour enchaîner les courses de haut niveau, sans bobos, sans grand besoin de récupération, sans phases de régénération.
Mais voilà, les athlètes sont des humains comme les autres et parfois, ça ne passe plus, et la "pause", le "repos", le "lâché prise" devient obligatoire, c’est une question de santé !
Virginie Govignon (Team Lafuma), vainqueur de la CCC® 2011, vient d’annoncer qu’elle s’accordait une « pause » pour se ressourcer, ne pouvant plus suivre actuellement le rythme infernal des entraînements et des courses. Il faut noter que son année 2011 fût très dense, riche en victoires mais aussi très éreintante.
Virginie, tu devais participer à la TDS® à la fin du mois d’août, mais ton dernier message sur Facebook, annonce plutôt un gros break. Peux-tu nous expliquer les raisons de ce break que l’on pourrait définir comme obligatoire?
J’ai vraiment pris conscience de ma fatigue fin avril lorsque je me suis surprise à désirer davantage rester me reposer en France pendant mes vacances plutôt que d’aller à Madagascar sur l’UTOP (Ultra Trail des hauts Plateaux).
Ce n’est quand même pas tous les jours qu’on vous invite sur ce type d’évènement et pourtant voilà ce dont j’avais besoin : faire un break !… Avec le recul aujourd’hui je pense que la sciatique qui m’a poussée à l’abandon sur la Grande Course des Templiers en octobre 2011 était déjà un signe… Au lendemain de ma victoire sur la CCC®, ma vie professionnelle devient instable : je ne maitrise ni mon lieu de vie, ni mes horaires de travail et encore moins mon club ou mon terrain d’entrainement. Mon planning de compétition est pourtant fixé… Je quitte la Bretagne, je change de région, d’établissement… Cela m’impose de reconstruire des bases, des piliers de vie sans lesquels je ne saurai faire. J’ai alors commencé une vie à 100 à l’heure sans aucun repère. Au début je vis cela comme un défi : j’en souris… avant de déchanter !
Le premier symptôme de surmenage est le raccourcissement des cycles comprenant les périodes de pic de forme et les coups de fatigue. Ensuite ce sont les troubles du sommeil, les sautes d’humeur, les troubles de la mémoire, le caractère lisse de ma réactivité mentale… Et j’étais comme figée lorsqu’il fallait prendre la décision de s’habiller pour partir courir ! Sans parler de dépression saisonnière, je sais que je suis sensible à la mauvaise saison mais lorsque les jours rallongent je retrouve toujours du poil de la bête. Je me suis d’abord toujours trouvée des excuses à ces troubles mais, quand le printemps est arrivé sans le peps qui va avec… En juin je me suis reprise en main avec l’arrêt des compétitions et j’ai appris que je faisais de l’insuffisance pancréatique et hépatique ! J’ai alors compris mes fringales étranges alors que je ne suis pas du genre à manger entre les repas. je vouais une vraie attirance pour le chocolat et surtout un soulagement immédiat ensuite. En fait j’avais fini par ne plus manger correctement (de sucres lents, ceux qui ne fatiguent pas le pancréas et bien trop de sucres rapides)… Ma fatigue était donc le résultat de troubles hormonaux liés à la fatigue qui entraina une alimentation inadaptée ce qui accentua les problèmes. En même temps avec ma vie «décousue», mes journées jamais assez longues, j’étais victime de troubles des rythmes biologiques, comme les personnes qui font les "3-8".
Tu écris également que tu es devenue allergique aux messages privés via Facebook, qu’entends-tu par là?
J’ai ouvert un compte Facebook pour valoriser mes sponsors. Je trouvais que mettre une image ou un court texte en quelques secondes me faisait gagner du temps par rapport à la rédaction d’articles denses sur mon blog. La rédaction est immédiate après une compétition. On fait part de son expérience très vite, on fait découvrir un paysage, on raconte un stage de trail en quelques lignes… Mais on a également bien vite des retours, des questions nous sont posées, etc…
Je suis de nature à aimer conseiller. J’aime donner tous les éléments qui permettent à la personne d’être vite autonome. Je n’aime pas décevoir. J’ai d’abord été frustrée de ne pas pouvoir répondre. Je m’excusais… Avec le nombre croissant de sollicitations, je passais de plus en plus de temps sur la toile et cela a fini par prendre trop d’espace dans ma vie…
Je ne généralise pas mais certaines personnes sont excessives. Elles semblent vivre à travers vous. Elles vous sollicitent à leur façon par simple poke, pas message sur le mûr ou par message privé, parfois plusieurs fois par jour ! Cela devient asphyxiant ! J’ai été en désaccord avec moi-même car on ne peut pas vivre autant d’amitiés sincères à la fois !
Peut-être as-tu réalisé aussi que ce n’était que du sport, et que la pression sportive genre «Entraînement à l’extrême, projet d’entrer en équipe de France, confirmer des victoires» ôtaient petit à petit le plaisir tout simplement de courir?
Il ne faut pas se mentir : si comme dit Philippe Propage (NDLR : son entraineur), on ne fait pas d’un âne un cheval de course, nul n’est «champion» qui veut ! Être dans «le haut-niveau» demande des sacrifices et, forcément, la saturation peut survenir !
Le trail est un sport outdoor et personne ne commande le ciel (fort heureusement!…) Celui qui part presque tous les jours à 5 heures du matin, sous la pluie ou dans un froid glacial, courir voire fractionner, avant sa journée de boulot ne va pas me dire que c’est par pur plaisir ! Des sportifs qui vivent du trail il y en a peu et, même Killian s’entraine dur et ressent des coups de mou !
Donc j’ai toujours accepté me faire rigueur pour aller m’entrainer mais aujourd’hui je suis partie dans un cercle vicieux médiatico-sportif qui me fait plus de mal que de bien. Notre époque nous permet de vivre nos rêves et d’avoir une qualité de vie exceptionnelle. Je viens de prendre conscience que je pouvais vivre sans tout le stress que je commençais à accumuler. A force de m’entendre dire que j’ai la chance d’être prof, d’avoir plein de temps libre pour courir, je me suis dit : et si tu en profitais pour vivre autre chose ! J’aime à répéter cette phrase de Pascal « Il vaut mieux savoir quelque chose de tout que tout de quelque chose»… Il y a juste que d’avoir des sponsors en appelle d’autres, que ce que j’ai aujourd’hui je me suis démenée pour l’avoir, que je fais partie d’un tout, d’un team, etc…
Que ma décision aura forcément une retombée. J’ai donc pris le temps de mesurer l’impact de ce choix. Au départ, sous le coup de l’émotion, j’aurais bien mis les baskets au placard définitivement. Ensuite j’ai contacté Laurent Valette, un ami traileur et des amis qui ne sont pas dans le milieu afin d’avoir un regard extérieur. Juste prendre le temps de se reposer, de prendre du recul et d’oublier pour mieux repartir…
J’ai informé tous mes sponsors de ma décision et ils ont eu ces mêmes propos : faire du sport sans envie et ne pas se soucier de la santé de leurs athlètes, ne sont pas leur philosophie.
Je les remercie vivement de ce soutien et je suis fière de porter leurs «couleurs» !
Quel est ton sentiment depuis cette annonce? Soulagement…. ou pas!!!
Après les larmes et la tension sous-jacente libérée ce fut un réel soulagement. J’ai retrouvé la vue !!! Oui j’ai profité de mes amis, de mes proches. J’ai à nouveau pris le temps de les écouter alors que depuis plusieurs semaines c’était l’inverse ! Le temps passé à table entre amis, s’est dilaté de lui-même. J’ai acheté un roman que j’ai lu d’une traite. Je me suis surprise à parler trail, à projeter avec des passionnés, mais aussi à les écouter se décrire avec cette étincelle que vous connaissez et à ressentir une forme de compassion… Tout excès nuit me semble-t-il. Ils étaient mon miroir. Eux en vibraient et moi, avant-hier je devais accepter qu’aujourd’hui cet excès me faisait souffrir, aujourd’hui j’en souris : 10 jours de break et je profite d’une nouvelle expérience. J’ai muris ! Je vis pleinement l’instant présent et bientôt je vais prendre le temps de jeter les bases de ma nouvelle vie en Andorre.
Chaque chose en son temps !
Comment tes proches ont réagi?…..
J’ai été surprise de la réponse de Philippe Propage qui de suite, par téléphone, m’a dit ceci "Accorde-toi le temps nécessaire pour te reposer. Pense à toi. Tu dois déconnecter de toute relation qui te fait penser à la compétition". Tout ce printemps il m’a comme portée à bout de bras, pensant que je faisais "ma difficile". Nous nous voyons peu.
Ce n’est pas facile pour lui de savoir, de comprendre. Il n’a pas toutes les cartes en main car depuis qu’on s’est connus en 2009, j’ai aussi beaucoup changé. S’entrainer c’est travailler sur la fatigue mais laquelle ? définir les "bons" et les "mauvais" symptômes n’est pas aisé.
Ceux qui me côtoient ont été heureux de me voir prendre enfin du temps pour moi. Ils veillent sur moi discrètement et parfois me freinent. Et oui, on ne se change pas comme ça. Merci Nathalie C. de m’avoir répété alors que j’avais presque encore la larme à l’oeil : "Je ne veux pas t’entendre parler de trail ! Amuse-toi, profite !"
As-tu déjà prévu un retour ou laisses-tu le temps faire le reste?
Aujourd’hui j’ai surtout besoin de prendre des vacances, de faire une pose vis à vis de toutes mes obligations, de tout ce qui exige de moi une performance (entrainement, rédaction d’articles, communication, tests, stages,…) Ne plus penser qu’à moi, m’écouter, me reposer ! Je vais laisser le temps faire son travail et la réponse à cette interview est un bon moyen de prendre conscience de certaines choses…
Au jour d’aujourd’hui je peux toujours me présenter sur la TDS® fin août mais je sais en mon for intérieur que ce serait une ânerie. Je suis inscrite sur l’ultra des Templiers : y serais-je ?
Je pense que oui mais je laisse le temps faire… je pense que je dois respecter mes rythmes biologiques : l’hiver est une saison où le corps "s’endort" un peu. J’ai tendance à vouloir aller au bout de mes objectifs, ceux que j’avais annoncés l’hiver dernier ne sont pas atteints. Maintenant ne dit-on pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ?
J’ai toujours aimé les expériences nouvelles et les voyages, la découverte de nouveaux horizons et les rencontres qu’on y fait et qui vous font grandir. Je ne suis pas une addict du sport, un peu excessive certes mais pas uniquement dans ce domaine précis. J’ai tout plein de passions. J’ai des rêves d’Himalaya, de Cordillère des Andes, de volcans ou de hautes latitudes. Le changement climatique bouleverse beaucoup de choses, la nature sauvage change vite et la vie (en pleine forme) est courte ou peut vite être écourtée… Voilà où j’en suis de mes réflexions : je pourrais reprendre mon projet "trail" pour boucler la boucle ou bien tourner une page du livre de ma vie pour utiliser mes acquis en vue de nouveaux projets cette fois internationaux et insolites, forcément sportifs et entachés d’humanitaire et de protection de la nature…
A voir, aujourd’hui je ne programme rien…. Je suis en vacances : je me laisse porter !
Amis trailers, je prends juste quelques vacances bien méritées ! Et… Prenez soin de vous !
Par Laurent Valette
octobre, 2024
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