Eric Lacroix, 54 ans, professeur d’EPS de formation, directeur du SUAPS de l’île de la Réunion est installé sur l’île avec sa femme et ses 2 enfants depuis près de 15 ans.
Très connu dans le monde du trail, il est un sportif épanoui et accompli.
Vainqueur du 1er marathon du Mont-Blanc et s’est illustré sur de nombreuses courses dans le monde, avec un podium (en M2) aux derniers Championnats de France de Trail court à Méribel en juillet dernier.
Professeur, entraîneur, auteur de nombreux ouvrages et articles, organisateur de courses, consultant télé pour l’UTMB® et Canal Grand Raid, il multiplie les casquettes dans cet univers qui le passionne.
Mais le 24 septembre 2019, sa vie bascule à la suite d’un arrêt cardiaque qui l’a vu frôler la mort.
Il est resté jusqu’à présent discret sur cet accident de la vie, mais revient pour Trails Endurance Mag sur sa santé, les enseignements qu’il en retire….et il a même repris la course à pied !
Un témoignage émouvant, sincère, positif et utile pour tous.
« Aucun signe annonciateur de cet infarctus » : E. Lacroix
TEM : Eric, comment vas-tu et peux-tu nous expliquer ce qu’il t’est arrivé en septembre dernier ?
En revenant de Chamonix début septembre 2019 où j’ai commenté les courses de l’UTMB® pour la web TV, j’ai commencé à avoir des douleurs thoraciques et une sorte d’irradiation dans les bras lors du début de mes footings. Je ne me suis pas trop posé la question de savoir si j’avais des problèmes cardiaques, bien que connaissant ces symptômes. Je suis coureur à pied depuis 1983, j’ai une bonne hygiène de vie et j’effectue des « check-up » et un suivi de santé régulièrement. Je me suis donc dit : «je dois avoir des courbatures et des problèmes respiratoires liés au fait que j’ai pris 2 fois l’avion dans le courant du mois d’août…».
Cependant et après une quinzaine de jours, les symptômes ne disparaissaient pas. Pire même, cela devenait insupportable au bout de 10’ de footing, même très lent. J’ai donc appelé mon médecin sportif qui m’a immédiatement conseillé que mon épouse puisse me transporter rapidement aux urgences de la clinique cardiaque la plus proche.
Cette date du 24 septembre 2019 est un moment fort pour moi, un moment terrible.
En effet, la prise de sang effectuée aux urgences révèle un taux de troponine (marqueur de fatigue cardiaque) assez élevé. Ce taux passera même de 0,6 μg/L à plus de 3 μg/L dans la nuit (signe révélateur d’une crise cardiaque).
Le lendemain je passe au bloc opératoire pour une coronographie cardiaque [1] et on m’annonce alors que mon artère principale est bouchée à 90% et que j’ai ce que l’on appelle un infarctus rudimentaire ! Stupeur et désarroi … Comment est-ce possible ?
Je m’effondre, car pour moi c’est une véritable injustice.
Ma vie a donc changé littéralement ce jour, je ne peux plus espérer la même vie qu’auparavant.
Les chirurgiens sont alors les gens qui vous sauvent la vie, qui on peut le souligner à cet instant « ne tient bien qu’à un fil ». L’intervention est alors immédiate et grâce à une angioplastie [2] avec pose d’un stent [3] actif on me débouche l’artère.
On m’a sauvé d’une mort imminente.
Mais les hommes ne sont-ils pas tous condamnés à mort avec des sursis indéfinis, comme dirait Victor HUGO.
TEM : Avais-tu eu des signes cliniques annonciateurs de cet infarctus ?
Je n’ai eu absolument aucun signe annonciateur de cet infarctus, si ce n’est des gênes respiratoires sur le début de certaines compétitions que j’effectuais en 2019, voire en 2018. La dernière en date étant le championnat de France de Trail à Méribel un mois avant, où je suffoquais dans la première longue montée de 4km. Mais l’altitude étant un élément qui peut handicaper les possibilités cardio-respiratoires, je ne me suis donc pas posé cette question, et j’ai quand même terminé 3ème en Master 2.
E. Lacroix : « désormais une véritable renaissance »
Tu as une hygiène de vie parfaite, tu pratiques le sport à dose raisonnable, tout en gardant un niveau athlétique élevé. Est-ce que cet infarctus peut se produire chez n’importe qui et n’importe quand, même avec des individus en pleine forme ?
Ce que j’ai pris au départ comme une énorme injustice est désormais pour moi révélateur d’une véritable renaissance.
En effet, il est vrai que tous les atouts qui concernent ma vie sportive sont plutôt exemplaires (hygiène de vie, mental, capacité à perdurer dans la performance). Cependant le cœur se comporte comme un poulpe, et lorsqu’il est sollicité en permanence sur le versant émotionnel, il peut se rétracter de manière violente, puis expulser le trop plein. C’est un peu en résumé ce qu’il m’est arrivé. Trop de sollicitations, trop de volonté à vouloir bien faire, et à le faire pour les autres, à vouloir être aimé… C’est une sorte de spirale sociale en « top down », car on ne sait plus dire non, et on s’éloigne de ses proches, on oublie même de s’occuper de soi, bref de l’essentiel.
Les réseaux sociaux, la compétition ultime pour exister sont bien souvent les éléments déclencheurs de ce genre de stress. On recherche en priorité un produit (je veux faire telle course !) et on n’en mesure pas forcément les effets (le quotidien qui en résulte).
On privilégie l’extraordinaire sur l’ordinaire, la valeur sur la compétence, le paraître sur l’être. Bref, il peut se créer une sorte de « burn-out « qui provoque un épuisement émotionnel et donc des perturbations physiologiques et des effets délétères. Le cœur en est l’axe central et s’il est perturbé par quelques dysfonctionnements, les dommages collatéraux peuvent être décuplés.
Il est donc essentiel pour moi de communiquer sur ce qu’il m’est arrivé, car sans tomber dans la paranoïa, le message à faire passer est important dans un milieu sportif où la surenchère de l’ultra est souvent le maître mot, et où le certificat médical est bien souvent de complaisance (peu de personnes réalisent des tests ECG à l’effort, ou font des explorations cardio-respiratoires plus approfondies).
TEM : à la suite de cela, tu as mené des recherches pour comprendre et savoir si des études avaient été menées sur ce sujet, as-tu des informations nouvelles ?
En effet, à la suite de cet accident, il me paraissait fondamental de pouvoir comprendre le pourquoi de cette injustice. Grâce à une rééducation cardiaque de 6 semaines avec des intervenants extraordinaires, j’ai pu comprendre non seulement qu’il était important que je puisse m’occuper désormais de moi (ce qui ne veut pas dire que l’on devient égocentrique, bien au contraire), mais aussi de pouvoir partager cette expérience avec les autres sous forme de réflexions et de recherches.
J’ai donc exploré quelques pistes avec différentes personnes, chercheurs, entraîneurs, médecins, intervenants en médecine douce.
Une des premières voies de la guérison repose sur le fait de s’occuper de soi, et donc engendre divers courants de pratique et de pensée comme la pratique par exemple du TAO et du QI QONG et de la cohérence cardiaque ; la recherche également de la pleine conscience et d’une certaine méditation. Ce sont des pistes de réflexion et de pratique bien souvent oubliées dans notre pratique sportive, car tournée davantage sur le versant énergétique et physiologique (l’entraînement, les charges, les compétitions…). On en oublie bien souvent la version holistique (approche globale) qui peut pourtant réconcilier véritablement le corps avec l’esprit.
La seconde voie concerne la recherche scientifique proprement dite, car il est aussi primordial de pouvoir comprendre les effets délétères que peuvent provoquer certains comportements sur la fonction cardio-respiratoire. Nous en sommes au stade des prémices, mais la prise de multi-vitamines pourrait par exemple avoir des effets catastrophiques car elle pourrait amplifier une inflammation [4] déjà présente et engendrer davantage de dépôts d’athéromes sur la paroi des artères. C’est un paradoxe, car on se sent fatigué et l’apport de vitamines censé protéger et complémenter pourrait provoquer des dégâts cardiaques.
Aussi, les recherches sur les effets de la chaleur durant l’effort sont des pistes intéressantes sur lesquelles certains chercheurs commencent à se pencher fortement, notamment à La Réunion. Les enjeux sont majeurs, car avec le réchauffement climatique, les athlètes sont de plus en plus soumis à des conditions extrêmes (Mondial d’athlétisme à DOHA, J.O 2020 à TOKYO…). Mais connait-on les conséquences pour le cœur ?
Les efforts de recherche sur le cœur visent aujourd’hui à finaliser la compréhension des mécanismes menant de la constitution de la plaque à sa fragilisation, puis sa rupture.
Tout cela est très bien, mais tout n’est forcément lié au cholestérol, à la tension artérielle, aux facteurs de risque, puisque que je n’avais aucun de ces problèmes.
La mise en évidence du rôle de l’inflammation dans l’évolution de l’athérosclérose doit donc conduire les chercheurs à se lancer dans la recherche d’analogies potentielles existant entre cette pathologie chronique et d’autres dont la composante inflammatoire est étudiée depuis plus longtemps. Mais aussi à la recherche d’autres biais qui peuvent être la calcification [5], le taux élevé de Lpa [6].
Bref on ne maîtrise pas encore tout à fait les effets de la pratique de l’endurance extrême, quand bien même cette endurance est souhaitable pour combattre l’inactivité, et donc rester en bonne santé, véritable paradoxe non ?
“je vis désormais en pleine conscience et en harmonie avec ce que je désire”
TEM : quels enseignements retiens tu de cet épisode de ta vie, comment abordes-tu la vie et qu’as tu changé dans ton quotidien ?
J’en retiens un énorme changement dans ma vie personnelle. Grâce au soutien très fort de mon épouse, de mes enfants, de ma famille et de mes proches, j’ai changé complètement mon regard sur la pratique, et ce « focus » est davantage orienté vers un curseur qui va de la performance à la renaissance.
Quand il fallait absolument aller courir, ce sans quoi il y avait conflit (pour moi-même, pour les autres…), je suis désormais capable de pouvoir m’en passer et d’aller faire le marché avec mes proches, et par la suite de faire à manger.
Quand il fallait courir pour performer, et se projeter pour être le meilleur (et parfois rechercher le graal commun de courir « la compétition incontournable »), je suis capable désormais de courir sans but compétitif, dans l’ici et maintenant, juste pour les effets et le bien qu’ils procurent, et souvent avec mon épouse.
Quand auparavant il fallait combler un vide psychologique, et donc chercher à tout prix à se faire aimer, et à être irréprochable (presque parfait), je vis désormais en pleine conscience et en harmonie avec ce que je désire.
Mon projet, et je l’assume sans être un « donneur de leçon », est donc de communiquer sur mon expérience, puis de lancer un message d’alerte dans un milieu sportif qui parfois s’oublie.
Par Fred Bousseau – photos Fred Bousseau et Eric Lacroix
1 La coronarographie est un examen qui permet de visualiser les artères coronaires, c’est-à-dire les artères qui apportent le sang au cœur. Cette radiographie des artères coronaires permet notamment de s’assurer que celles-ci ne sont pas rétrécies ou bouchées par des plaques d’athérosclérose.
Le scanner coronaire ou coroscanner permet lui aussi de visualiser les artères du cœur, mais de façon moins invasive que la coronarographie (celle-ci nécessite la ponction d’une artère, alors que le scanner ne nécessite que la perfusion d’une veine pour injecter le produit de contraste).
2 L’angioplastie, avec ou sans pose d’une prothèse endo-cavitaire (stent ou endoprothèse) a pour but de rétablir la circulation artérielle en dilatant le rétrécissement ou la sténose coronaire à l’aide d’un ballonnet gonflable.
3 Grillage tubulaire souple introduit dans une artère par cathéter après une dilatation par ballonnet (angioplastie), pour maintenir le résultat de la dilatation.
4 On en recherche encore les causes, mais les aliments ultra-transformés pourraient provoquer ce genre de pathologie. Les travaux de l’équipe EREN, qui associe des chercheurs en épidémiologie nutritionnelle de l’Inserm, de l’Inra, de l’Université Paris 13 et du CNAM révèlent, dans un article publié dans le British Médical Journal , que la consommation d’aliments ultra-transformés est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires
5 L’artériosclérose (calcification des artères) se définit par une altération des vaisseaux sanguins. Les parois des vaisseaux se calcifient, perdent leur élasticité et le diamètre des vaisseaux se rétrécie de plus en plus. Par conséquent, le sang ne peut plus circuler normalement.
6 Cinquante ans après sa découverte, l’intérêt clinique pour la Lipoprotéine (Lp(a)) renaît. Et ceci grâce à la génétique avec ses approches par randomisation mendélienne qui ont permis d’établir un lien clair de cause à effet entre des polymorphismes génétiques responsables de taux élevés de Lp(a) et les maladies cardiovasculaires.
novembre, 2024
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