Entretien avec Karine Herry : "la sportive a enrichi le médecin"

Karine Herry vient d’annoncer en début d’année qu’elle mettait un terme à sa carrière de traileuse.
Un long palmarès qu’il serait trop long de citer, mais on retiendra ses 9 victoires aux Templiers, ses succès sur les 3 plus grands Ultra Trails Français, le GRP, la Diagonale des Fous et l’UTMB.
20 ans d’une carrière menée à la fois sur la route et en trail mais parallèlement avec une profession de médecin de campagne et une vie de famille en Haute Loire avec ses 2 enfants et son mari Bruno Tomozyk, entraîneur et qui gère aussi leurs chambres d’hôtes.
Une vie bien remplie, l’occasion de retracer dans cet entretien accordé à Trails ENdurance Mag, ses années de sports, de dresser un bilan de la discipline et de distiller quelques conseils aux jeunes.
Retrouvez aussi un porfolio retraçant la carrière de Karine dans le N°109 de Trails Endurance Mag

1/ Tu as décidé en ce début d’année de mettre un terme à ta carrière internationale, qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
Le « compte rond » ? ! 20 ans de carrière de 1994 à 2014 ? !
Je plaisante, même si en numérologie, j’ai effectivement toujours préféré les nombres pairs : normal en étant née le deuxième jour de l’année, et ayant mis naissance à des jumeaux !
Karine HerryPlus sérieusement, c’est une logique d’esprit et d’évènements de vie qui t’amène à une telle décision.
Dans mon cas initialement lorsqu’on me posait la question « de ma sortie », en l’absence de blessures qui ne te laissent pas le choix, je disais que j’ignorais si cela correspondrait à un âge donné.
En réalité, tant que nous trouvions notre équilibre familial, dans cette vie « sur les routes », j’ai aimé ces fréquents déplacements de week-end ou congés, en France et à l’étranger. Cette vie naturellement enrichie de rencontres et de découvertes de paysages.

Et puis à un moment donné, quand le flux devient « plus tendu », parce que tu as à peine le temps de défaire une valise, que tu en refais une autre dans ta tête, tu t’interroges pour ne pas te tromper de cadence.
Tes enfants grandissent, adolescents ils ont leurs propres aspirations et besoin d’encadrement dans d’autres sports (biathlon et ski de fond), ou d’autres loisirs.

Ne pas passer le cap du « toujours plus » – Karine Herry

Leur rythme scolaire et ton propre rythme professionnel qui s’accélèrent (désertification médicale oblige !), font que tu dois intégrer de nouvelles priorités.
J’ai été internationale de course à pied certes, et bien aidée par différents sponsors quelques années, mais je n’ai jamais été professionnelle de la course à pied, et n’en ai jamais vécu !

Egalement, après avoir fermé « un cercle de vie », en remportant un certain nombre des plus grandes courses de trail au monde, je me demandais comment me projeter dans de nouveaux rêves. Je ne voulais pas comme certains passer le cap « du toujours plus ».
Toujours plus, en terme de programmation de courses la même année, ou toujours plus long…

Même si certains auront trouvé au cours de ma carrière des années bien remplies ou un triptyque inédit et audacieux comme l’UTMB – Grand Raid de la Réunion – Templiers avec victoires, cela n’aura été que conduite par une certitude : l’esprit ne doit pas programmer « les Douze travaux d’Hercule » à notre corps. Mais par contre profiter d’un pic de forme s’il est là !
Je n’aurais jamais été de ceux qui savent un an avant, ce qu’ils vont faire comme compétition ! Peut-être le bénéfice de ne pas être « condamnée » à une inscription ferme et définitive plusieurs mois avant, pour garder sa place ?

D’autre part, en tant que médecin, je sais trop bien que « demain est fragile », et que nul ne peut dire s’il sera en forme 6 mois pile après !

Karine Herry - USA - Bruno Tomozyk

2/ Va t-on quand même croiser Karine Herry sur des Trails en 2015 et dans les prochaines années ?
Oui ? ! Mais à vrai dire la tête toute orientée vers la recherche du meilleur équilibre pour cette nouvelle vie, comme après la prise d’une retraite, je n’en sais rien ?!
J’aspire à faire de nouvelles choses que je n’ai pas faites depuis 20 ans ! Aussi bien du point de vue intellectuel que physique.

Maintenant que les enfants sont ados, ils viennent de fêter 14 ans , nous voudrions également encore plus partager de nouveaux terrains de jeu avec eux, leur servir de guides, en même temps que leurs propres envies orientent nos choix.

« continuer à respecter mon corps »

Inversement en arrêtant ma carrière au haut niveau, je ne perds pas l’amour que j’ai pour cette discipline et surtout cette Nature qui a orienté notre lieu de vie.
Si ma forme entretenue, je prends donc du plaisir non seulement à courir, mais à mettre un dossard sur ma poitrine au cours d’un déplacement familial, vous me verrez au départ de course, mais nulle part seule en compétition !

En ce début d’année 2015, je rêve aussi d’avoir le budget pour valider le déplacement à l’Ile de la Réunion que nous n’avons pu faire cette année ; ce serait donc un argument supplémentaire pour chausser les baskets et préparer le Trail Bourbon !
Même en ne m’entrainant plus « en haut niveau », je conserverai toujours l’envie de remercier à ma façon un organisateur qui m’attribue un dossard, par une présence effective à sa course.

En toute connaissance des difficultés rencontrées sur ce genre de course, tout l’enjeu avec un nouvel emploi du temps, serait donc dans le cas présent de continuer à respecter mon corps comme je l’ai fait durant 20 ans : être présente certes, mais en forme et prête à affronter les « obstacles ». Que la première compétition hors de ma carrière ne soit pas la première occasion de course non préparée, au détriment de ma santé !

3/ 20 ans de trail, tu as tout connu, les victoires, les blessures, les contre performances… que retiens tu de cette période de ta vie de sportive ?
Je suis d’abord très fière de cette carrière menée avec Bruno, pendant 20 ans, au haut niveau, avec ces belles réussites partagées !
Et quand je dis cela, vous aurez compris que ce qui m’a remplie de bonheur c’est avant tout d’avoir rêver ensemble, et le chemin que nous avons fait jusqu’à « notre trésor »…
KArine Herry, 9 fois vainqueurs des Templiers-Bruno TomozykCertes ce ne fût pas un long fleuve tranquille…mais les échecs ont été rares, les blessures jamais le reflet d’une mauvaise préparation.
Je pense que mes scores en attestent (hommes et femmes confondus) : 9 victoires sur 10 participations aux Templiers, 3 podiums sur mes 3 premières participations à l’UTMB, victoire 2006 comprise et 7 titres de championne de France des 100 kms sur 7 !…

Lorsque je chute sur le visage avec « mon pacer » lors de la course américaine de la Western States, c’est lié à notre double panne simultanée de lampes en pleine nuit !

C’est bien une hésitation à mettre un éclairage dans le premier clair obscur qui me fait chuter lourdement sur le genou droit en début d’UTMB 2009 et me coûte au final un nouveau podium.

Lorsque j’ai vécu un premier abandon en ultratrail, par 52 degrés sur ma deuxième Western States (juin 2006), mon cerveau analytique de médecin s’est tout de suite mis en branle pour y voir le lien avec mon vécu hormonal perturbé de femme depuis mai, et y remédier. Quelle récompense deux mois après pour une scientifique, que de voir ses hypothèses confirmées par une belle victoire sur l’UTMB 2006 et le triptyque que l’on sait !

« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » dit-on,…je pense que plus d’une fois, notamment après mon amibiase africaine sur de l’eau de ravitaillement reçue souillée, ou mon hypothermie à 33 degrés sur l’UTMB, j’aurais su mettre cet adage en application !…
Persuadée d’avoir en partie réalisé mes premières victoires en trail et ultratrail, grâce à mes formations médicale en micro et chrono-nutrition, je suis également convaincue d’avoir beaucoup compris de notre métabolisme grâce aux analyses de mes propres expériences en Ultratrails .

La sportive a à son tour enrichi le médecin !

 » Je souhaite beaucoup de courage à tout le monde ! »

4/ La discipline a beaucoup évolué et va encore se développer, quel constat (positif et négatif) fais tu de cet engouement ?
Je souhaite beaucoup de courage à tout le monde !
Car notre discipline est malheureusement le reflet de notre société, qui ne se porte pas très bien selon moi !
En rupture avec les notions de respect de soi, de l’autre, de son environnement…
Multi-médiatisée au risque d’y perdre les bases d’une bonne communication entre individus…
Toujours « à fond » jusqu’à vouloir transposer à la montagne son stress quotidien de citadin…
Vous allez dire que je fais « du cliché »… j’aimerais tant !
Et j’aimerais tant qu’une jeune traileuse d’une vingtaine d’années connaisse la même carrière que la mienne…
Avec la professionnalisation de la discipline, cela me semble mission impossible.

« Chercher le plaisir d’être là » – Karine Herry

5/ Quels conseils pourrais tu donner aux jeunes coureurs et coureuses qui veulent se lancer dans le trail et parfois trop vite sur des Ultras Trails ?
Lancez vous dans cette discipline avec le réel plaisir d’un gamin qui croque dans une belle part de gâteau au chocolat !
Vous ne serez jamais si Karine Herry - Lavaredo - Bruno Tomozykperformant(e) que quand vous ne ferez que chercher le plaisir d’être là, de jouer avec les racines, les pierres comme un cabri… d’absorber du regard cette nature et de la respirer…

« Faites vos gammes », découvrez vos points forts, vos points faibles, mais toujours en aisance. Je me suis rarement mise « dans le rouge » (peut-être au grand damne du coach ? !), mais avec la conviction aussi que c’est ainsi que j’ai su « durer » : en me préservant et jamais à saturation.

Prenez le temps des choses ! certes la vie est courte et l’on voudrait parfois brûler des étapes ou savoir ce qui nous arrivera dans 5 ans, mais c’est ce que l’on découvre progressivement qui nous enrichit le plus.

De plus l’on ne peut être un bon traileur, si l’on ne cherche pas à connaître d’abord la nature, la montagne, avec ses valeurs ses dangers et ses rigueurs.
Affronter à 20 ans ou trop vite un Ultra-trail, ce serait prétendre vouloir traverser l’Atlantique en solitaire sous prétexte que l’on sait tout juste manier un petit bateau.

Pourtant seule « l’humilité n’a jamais tué personne »…

6/ Quelle est ton meilleur souvenir et le plus mauvais durant ces 20 ans ?
Mon meilleur souvenir de trail, moi qui pourtant pendant 20 ans, ai couru sous ou à travers le regard des autres, serait peut-être un moment unique et extrêmement privilégié que m’a offert la solitude en pleine nature et entraînement.

Alors que je courais il y a quelques années dans le massif du Glandasse, (ayant rendez vous avec ma petite famille pour notre pique nique), je suis tombée nez à nez avec un renard.
Tranquillement assis sur un talus et sur son derrière, il m’a regardée avancer.
J’ai pensé immédiatement au « Petit Prince » de St Exupéry, et je souris en repensant au monologue que je me suis mise à lui tenir, alors qu’il continuait plusieurs minutes à me regarder et m’écouter ? !

Mon plus mauvais souvenir de course, et je m’en veux encore en l’évoquant, serait mon arrivée à la Sauta Roc 2005 trail de 26 kms près de Montpellier : faute d’avoir anticipé que notre mano à mano avec mon amie Sylvie Fourdrinier ne nous permettrait pas de nous départager, et de lui proposer bien avant la dernière ligne droite de terminer main dans la main, nous nous sommes retrouvées à faire un sprint final jusqu’au dernier souffle, que je n’aurais pas souhaité, pour une victoire bien amère…

Je voudrais profiter de cette interview marquant la fin de ma carrière pour remercier tous les sponsors qui m’ont aidée à devenir Internationale B dans ce sport et réaliser mes rêves : Laboratoire Richelet, Leppin, Celnat, Green Food Corporation, Laboratoire Fenioux, Lafuma, Julbo, Petzl, Effinov.
La vie a aussi un prix, et leur soutien financier comme leur amitié m’ont été précieux.

Egalement, adresser une pensée à tous les animateurs, et organisateurs de courses devenus si proches, en particulier tous ceux ayant réalisé avec nous les reportages France de Terre de Trails.
Bises particulières à nos amis insulaires corses et guadeloupéens !

Je pense enfin à tous les anonymes qui n’ont pas toujours su mettre leur timidité de côté pour oser m’aborder, mais ont échangé un regard, un sourire, un mot, …puis parfois ont écrit quelques lignes sur la toile à l’annonce de ma retraite.

Je les remercie pour ces messages touchants.
Je suis heureuse d’avoir servi de « référence », « de phare » pour quelques générations de filles.
Quelle belle consécration pour une bretonne finistérienne !

A tous je vous souhaite « bon vent » !

Les 250 plus belles photos de trail de Karine Herry : (Photos Bruno Tomozyk)

Par Fred Bousseau – © photos Bruno Tomozyk

Karine Herry en Ecosse - Bruno Tomozyk

décembre, 2024

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