Retour aux sources pour Alexandre Hayetine qui ce samedi 30 juin arpentera dans ses Ardennes natales, précisément sur la commune des Hautes-Rivières, un ultra de 88km accusant un différentiel de 4800m.
Lors de l’édition princeps il y a deux ans, l’Ardennes Mega Trail (AMT), long à cette époque de 80km, était tombé dans l’escarcelle de ce Haut-Savoyard d’adoption demeurant à Saint-Gervais-les-Bains. La joute fut alors des plus indécises avec son valeureux dauphin quadra, le Tarin Dominique Meunier (AS de course à pied VEO 2000 la Plagne) qui s’avouera vaincu pour dix-huit petites minutes.
Rendez-vous désormais incontournable de la course nature dans le Nord-Est de l’Hexagone, la manifestation se disputera à guichets fermés, 703 trailers ayant paraphé leur venue sur l’une des deux distances au menu. Outre l’AMT, on y décèle également un 50km pimenté par 2600m de dénivelée, dénommé « Le Roc la Tour ». Un double défi admirablement concocté par l’Athlétic Bélair Club, formation FFA surgie en 1986 à Charleville-Mézières et qui vit en 2009 une poignée de volontaires se jeter corps et âme dans cette aventure hors norme.?
Parmi les engagés, on remarquera sur le 88km les deux leaders 2011, à savoir le Marnais Marc-Antoine Janody, 34 ans, ainsi que la Néerlandaise Martine Hofstede, 46 ans, qui tous deux l’avaient emporté aisément, avec près de 40 minutes d’avance. Cette saison, le premier s’est classé 4ème sur le 100km du Challenge Charles et Alice (Drôme), la seconde 9ème sur le 50km de la Bouillonnante, concourue en Belgique à proximité de l’AMT.
Au cœur de ce massif ancien densément boisé que sont les Ardennes, situé à la frontière belge et n’excédant pas, côté français, les 504m d’altitude à la Croix-Scaille, cette épopée s’annonce des plus redoutables. Car aux antipodes des odyssées alpines et pyrénéennes où la marche est privilégiée pour dompter les interminables pentes de catastrophe, la course ne relève pas ici de l’utopie, tout au moins sur une portion non négligeable du parcours, ce qui rend justement cette gageure éprouvante. D’autant plus qu’elle n’en renferme pas moins d’une vingtaine de montées-descentes qui se chargeront de titiller les tendons avant de relancer la machine sur les météoriques arpents roulants. Ultime écueil, cette équipée sauvage s’effectue en totale autosuffisance alimentaire (à l’exception de l’eau sur les points de ravitaillement), ce qui en France est rarissime.
Aussi, profitons de cette occasion pour faire plus ample connaissance avec Alexandre Hayetine, solide gaillard d’1m80 pour 75kg et âgé de 29 ans, qui ne cesse depuis 2009 de crever l’écran sur la longue distance et l’ultra. Décochant podiums ou places d’honneur, il galope aux quatre coins du territoire national, des Ardennes aux Pyrénées, de l’Auvergne à la Réunion, sans oublier naturellement les Pays de Savoie. Et ce en compagnie de Denis, son inséparable père.
Pour situer son niveau actuel, on peut affirmer que ses performances sont comparables à celles d’un Pascal Giguet. Cette année et à deux reprises, il s’est ainsi retrouvé juste derrière lui, 6ème à 4’19 sur le 73km des Citadelles, 2ème à 3’09 sur le 38km du Salève.?Ce qui n’empêche pas les médias de l’ignorer superbement, l’absence de team n’étant sans doute pas étrangère à ce désopilant ostracisme. A contre-courant, « Trails Endurance Mag » a décidé de laver l’affront.?
Alexandre, peux-tu te présenter ?
Si je suis originaire des Ardennes, ayant vu le jour le 27 juin 1983 à Charleville-Mézières, je n’y ai en revanche jamais vécu. Après un passage à Châlons-en-Champagne, mes parents s’installent définitivement à Saint-Gervais-les-Bains en 1986, l’altitude permettant à ma grande sœur de pallier sa déficience pulmonaire engendrée par la trop grande humidité champenoise.?Sur le plan professionnel, après avoir été décolleteur puis charpentier, je suis devenu il y a un an cheminot comme mon père Denis, entretenant la pittoresque voie Saint-Gervais-les-Bains – Chamonix.
Quand et comment t’es-tu lancé dans la course à pied ?
?Avant 2004, le sport m’était quasiment inconnu, chaussant uniquement des running en milieu scolaire alors que j’exécrais courir. L’époque était en effet dévolue aux cuites avec les potes, à la bécane ou encore à la console de jeux vidéo. Et dire que je baignais dans un contexte propice à la course à pied, mon père s’y adonnant frénétiquement dès ses 24 printemps !?L’élément catalyseur intervient en mai 2004. Avec un copain, je suis tombé sur un article du « Dauphiné Libéré » parlant de l’UTMB. Focalisant immédiatement notre attention, ce papier nous fait mesurer le degré de folie de cette entreprise qui dès lors ne pouvait pas nous résister. Trois mois de préparation spartiate ne suffiront pourtant pas à relever le défi, notre inexpérience, et pour cause, nous contraignant à abdiquer à Courmayeur.?Vexé par l’échec sur mon premier trail et désireux de rejoindre le cénacle des finishers de l’UTMB, je m’entraîne de nouveau comme un malade en vue du millésime 2005, disputant en moyenne une épreuve tous les mois. Le succès est cette fois-ci au rendez-vous, terminant en 39h05’56, soit 418ème et 1er espoir. Mais bien davantage que le résultat, une passion venait d’éclore que je ne cesse d’assouvir sept ans plus tard.
N’opères-tu qu’en nature ?
Très majoritairement, oui. N’empêche, après avoir goûté au marathon dès ma première année de course (3h33’52 à Lausanne), j’ai remis le couvert en 2009 (Beaujolais Nouveau en 2h59’37) puis l’an passé (2h56’28 à Milan puis 2h49’06 à Lyon) où je me suis pris totalement au jeu. A cette occasion, j’ai découvert ce qu’était réellement la course à pied.?Aussi, mon rêve le plus fou est de devenir un jour un pur marathonien en côtoyant l’élite mondiale. Je pense que j’en ai la capacité mais il me faudrait pour cela un coach capable en conséquence de m’y préparer. Pour mes deux marathons concourus en 2011, j’ai quand même appliqué à la lettre un plan d’entraînement extirpé d’un bouquin qui m’a bien facilité la tâche, étrennant par la même les séances VMA. Hélas, je n’ai pas mis tous mes atouts de mon côté, poursuivant ainsi les compétitions de trail, ce qui ne m’a pas vraiment servi.
Tu prétends donc que la véritable course à pied se réduit au marathon. Par la même, suggères-tu que la qualité des trailers laisse à désirer ?
Pas le moins du monde ! Il n’est pas question de dénigrer le trail qui me procure à la fois bonheur et succès, regorgeant de belles pointures et même d’athlètes de haut niveau.?Simplement, le marathon est une discipline extrêmement exigeante où la vélocité n’est pas comparable avec celle d’un trail de même distance. Ensuite, la pression est au maximum en ne quittant pas d’un œil le chrono. Par ailleurs, la récupération est beaucoup plus longue et pénible, l’asphalte occasionnant pour partie cette situation.?Enfin, n’occultons pas ce paramètre qui aujourd’hui a son importance, à savoir la prolifération des trails qui génèrent sur bon nombre d’épreuves une faible densité et par ricochet diluent le niveau d’ensemble.?Mes cinq victoires à ce jour – Défi Dieulefitois (80km) et Tour de la Grande Casse (62km) en 2009, Trois Châteaux (54km en deux manches) et Ardennes Méga Trail (80km) en 2010, enfin Gypaète (71km) cette saison -, outre qu’elles m’ont comblé de joie, témoignent d’une incontestable progression. N’empêche, je n’ai quand même pas remporté les Jeux Olympiques, étant pleinement conscient de l’absence de l’élite nationale sur ces cinq courses !?Il faut donc savoir raison garder, en clair relativiser nos performances, y compris lorsqu’on est propulsé sur le podium scratch. Car une prestation se jauge d’abord en fonction des forces en présence.?Mon triomphe sur le Gypaète, le 2 juin dernier, est ainsi intervenu quatre mois après ma 13ème position au Gruissan Phoebus Trail (50km) et deux mois après mon 6ème rang aux Citadelles (73km). Or, si ces deux compétitions de haut vol auront été source de grande satisfaction personnelle, elles n’en verront pas moins les lauréats, respectivement le Forézien Fabien Chatoire et l’Espagnol Iker Karrera, me reléguer à des années lumière, respectivement à 33’46 et 52’36 ! Mais oui !
Si j’ai bien saisi, tu n’as jamais accompli de fractionnés dans l’optique de la course nature ??
Excepté le fartleck, au demeurant pratiqué sans rigueur excessive, je ne vois en effet absolument pas l’intérêt de ces exercices. De prime abord, ils sont traumatisants pour notre corps. Ensuite, ils n’induisent pas automatiquement une bonification de nos performances. Preuve en est mon cas personnel où, sans en faire aucun, je n’aurai pourtant jamais cessé de progresser en huit ans, passant du fin fond du peloton, où mon unique but était alors de franchir la ligne, aux avant-postes.?La clef de ma réussite alors ? Cavaler au feeling et quotidiennement en dehors du jeudi, en suivant les conseils avisés prodigués par mon père. Quant à l’hiver, après ma traditionnelle coupure s’étalant sur décembre, je continue à courir mais dans la neige cette fois-ci, croisant toutefois avec la raquette et le ski de fond. Mais bon comme tout à chacun, je ne préfère pas éventer mes petits secrets d’entraînement !
Ton père a l’air de représenter beaucoup pour toi ??
Effectivement, et pas seulement parce qu’il est mon mentor dans ma préparation. Pareillement, il est un modèle au regard de son admirable parcours. Après avoir été un excellent coureur sur route (3h00 sur le Marathon du Lac d’Annecy, 1h17 sur le Semi du Lac d’Annecy, 35’35 sur le 10km d’Annemasse), Denis subit un pontage coronarien en avril 2004.?Quand tant d’autres auraient abdiqué, lui a tenu coûte que coûte à épingler de nouveau un dossard en s’initiant au trail, grâce il est vrai à mes exhortations. Le 18 septembre 2005, l’impensable a lieu lors du 50km du Trail du Bugey où il s’adjuge, la peur au ventre, une splendide 26ème place sur quelques 90 classés après 4h35 de périple ! Par la suite, sa progression sera constante, écumant à partir de 2010 les podiums V2 en course nature et accomplissant 3h03’56 le 2 octobre 2011 sur le Marathon de Lyon.?Aujourd’hui, une étroite complicité nous unit, prenant part aux mêmes compétitions après les avoir sélectionnées de conserve. Comme des gosses, nous n’arrêtons pas de délirer, en particulier après l’effort lorsque nous nous retrouvons à refaire la course devant notre éternelle… coupe de champagne ! Logique pour les Champenois que nous sommes, n’est-ce pas ? Et raison pour laquelle nous sommes prestes, ayant en effet dans le sang ce fameux champagne !
Pour terminer, te sens-tu frustré de pas intégrer un team ou de ne pas être sponsorisé ??
Attention, j’ai déjà porté les couleurs d’un team, en l’occurrence Sport 2000 Pays Rochois en 2009-2010, tout en étant équipé par Craft et Brooks. Si je l’ai quitté, c’est essentiellement en raison de l’absence d’entraînement collectif.?Aujourd’hui, si je ne suis affilié à aucune structure, je n’en fais pourtant pas une maladie, d’autant plus que cela ne m’interdit pas les prouesses, bien au contraire !?Maintenant, je ne cracherai pas dans la soupe si je ralliais de nouveau un team, ne serait-ce pour des motifs financiers. Ayant un train de vie modeste, le trail commence en effet à me revenir très cher, certaines organisations établissant des droits d’inscription scandaleusement prohibitifs, qui plus est dans le contexte de grave crise économique que nous subissons depuis 2008. Sans compter le coût de l’équipement, des trajets, du logement, et que sais-je encore ??Enfin, à moins de se rebeller, il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour que notre discipline ne verse pas dans le pur élitisme ! Malheureusement, c’est loin d’être gagné !
François Vanlaton
novembre, 2024
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