Du Mont-Blanc au Mont-Fuji, il semblerait qu’il existe désormais une discipline dont le Petit Prince du trail, Xavier Thévenard, se soit fait couronner Roi incontesté : courir autour des sommets les plus emblématiques de la planète à une vitesse folle.
En effet, après sa victoire impressionnante de justesse et de sérénité à l’UTMB® 2018, il a ouvert sa saison 2019 par un triomphe du même acabit lors de l’UTMF 2019, sur les pentes du mythique volcan japonais. En ligne de mire ? La joute homérique qui s’annonce à la Hardrock 100, dans le Colorado, en juillet prochain. Une bataille épique au pays de l’Oncle Sam où le Petit Prince croisera le fer avec deux empereurs : François D’Haene et Kilian Jornet.
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En attendant, retour sur ce périple japonais avec Xavier Thévenard, l’athlète qui plie les ultras plus facilement que les origamis.
Xavier, peux-tu nous raconter ta course ? Comment s’est construite cette nouvelle victoire ?
En réalité, je n’ai absolument rien changé à ma recette habituelle. J’ai couru ma course, pas celle d’un autre. Petit à petit, avec l’expérience, j’ai cette conviction qui se renforce et se confirme : en ultra, les valeurs fondamentales sont la gestion et la patience. Peu importe l’enjeu, les conditions ou les imprévus, il s’agit de demeurer calme et concentré. J’insiste : la patience, c’est la clé !
« Je n’ai rien changé à ma recette habituelle. J’ai couru ma course, pas celle d’un autre. »
Qu’est-ce que cela signifie concrètement que de « se montrer patient » ?
Lorsque tu es victime d’un petit coup de moins bien, il faut serrer les dents, courber l’échine et attendre que l’orage passe. Sans s’affoler. Car naturellement, le réflexe serait plutôt d’accélérer pour perdre le moins de temps possible, au risque d’atteindre ce point de non-retour qu’est la zone rouge. À l’inverse, il faut également tempérer ses ardeurs lors des instants d’euphorie puisque le retour de bâton peut se révéler extrêmement violent. Être à l’offensive oui, mais toujours avec prudence ! Car la vérité d’un kilomètre n’est pas forcément celle du suivant ! Surtout en ultra-trail.
As-tu expérimenté ces instants de trouble et ces moments d’euphorie sur cet UTMF (Ultra-Trail du Mont-Fuji) 2019 ?
Bien-sûr ! L’ultra-trail, c’est une courbe sinusoïdale qu’il s’agit d’aplanir au mieux en gérant judicieusement ces temps dits « forts » ou « faibles ». Sur cet UTMF, j’ai traversé plusieurs passages à vide. Le premier au 60ème kilomètre, après 6h d’effort, à l’abord d’une bosse vraiment raide. Dans la descente suivante, j’avais déjà retrouvé un semblant d’énergie, puis dix bornes plus loin, sur une section roulante au bord d’un lac, j’éprouvais à nouveau de super sensations. J’ai connu un deuxième épisode compliqué aux alentours du 100ème km. Un coup de massue sur la tête. Je voyais flou, pris par les étourdissements. J’ai pris 2 gels consécutivement, ce qui m’arrive rarement, et très rapidement la lucidité est revenue… 10 minutes plus tard, je n’étais plus le même bonhomme ! À l’inverse, à partir du 120ème km, je me suis senti vraiment bien. Au 165ème km, je franchis la ligne d’arrivée fatigué, émoussé et satisfait, car j’avais ma dose, mais s’il avait fallu, j’aurais pu rajouter quelques bornes à cette allure…
Avais-tu, comme à l’UTMB cet été, un plan de course défini ? Une stratégie très précise ?
Disons que j’avais laissé une marge un peu plus importante à l’intuition et à la sensation sur cet UTMF (sourire). J’étais un peu plus au feeling ! A l’UTMB®, j’ai cette chance de bien connaître le parcours. D’où la possibilité de concevoir ce bracelet avec les temps de passage que je souhaitais respecter. Là, j’avais tâché d’analyser et de me calquer, plus ou moins, sur la performance de Dylan Dowman (vainqueur de l’édition 2018 de l’UTMF). Et nous sommes plutôt très proches puisqu’il l’emporte en 19h30 et moi en 19h36. Un chrono dont je suis assez satisfait sachant que les conditions pluvieuses et l’épais brouillard ont corsé la difficulté.
La concurrence t’a-t-elle fait douter ? As-tu à un moment redouté que la victoire ne t’échappe ?
En fait, avant une course, j’essaye de ne pas trop penser à la concurrence. Je me recentre sur l’objectif : « Pourquoi suis-je sur cette ligne de départ ? » Et la réponse est limpide : pour me mettre une grosse dose, vivre une belle aventure et aller taquiner mes limites ! Ici, j’ai partagé un long bout de chemin avec Liang Jing, un coureur avec de belles références, vainqueur quelques mois auparavant d’une épreuve de l’Ultra-Trail World Tour à Hong Kong. Pas un instant je n’ai cherché à le suivre ou à le lâcher. Je me suis focalisé sur mon propre rythme, conscient que la course était encore longue. Au 120ème km, il a commencé à craquer puis l’écart s’est creusé naturellement au gré des kilomètres restants.
Il semblerait que cette accélération du 120ème km soit devenue ta signature ?
(Sourire à nouveau) Absolument pas. Un média japonais m’a posé la même question puisqu’à l’UTMB, c’est également à ce moment-là que j’ai distancé l’américain Zach Miller. Moi, je me mets juste dans ma bulle et j’avance à mon rythme, celui qui me convient. Je ne m’enflamme pas. Et c’est la raison pour laquelle je ne me retourne que très rarement. Je regarde devant. Mon but est de franchir le plus rapidement possible cette ligne d’arrivée. En restant concentré sur moi-même. Tant mieux si la victoire est au bout. Sinon tant pis, j’aurais donné le maximum.
« Mon but est de franchir le plus rapidement possible cette ligne d’arrivée. En restant concentré sur moi-même. Tant mieux si la victoire est au bout. Sinon tant pis, j’aurais donné le maximum. »
Quelle est la particularité de l’UTMF ? Ce qui fait sa singularité, sa principale difficulté ?
Je n’ai jamais rien vu de semblable ailleurs ! C’est une course unique dans le sens où tu passes instantanément de grands boulevards bitumés à des sections extrêmement techniques à franchir en utilisant les mains. Cet enchevêtrement de parties très urbaines et de passages sauvages est assez perturbant. En fait, tu as l’impression d’alterner entre le parcours de l’ÉcoTrail de Paris et celui d’une épreuve de skyrunning sur les hauts sommets des Dolomites italiennes.
Comment un amoureux des sentiers vit ces longs kilomètres sur le macadam ?
Avec mon coach, Benoit Nave, nous avions en amont amorcé une petite démarche analytique pour tenter de dérouler une foulée à la fois économique et efficace sur le plat. Nous avons donc décortiqué, en vidéo, la foulée des Kenyans sur marathon. Ce train arrière très soutenu, très véloce, avec le pied sous le bassin et le buste porté vers l’avant. J’y ai pensé sans arrêt sur cette course, en tâchant de reproduire au mieux cette foulée. Après attention, pas de méprise : je suis jurassien, pas kenyan !
L’assistance de Benoit Girondel, finalement forfait pour cause d’une blessure au tendon d’Achille, a-t-elle beaucoup contribué à ton impressionnante performance ?
Carrément ! La présence d’un pote comme Benoit sur les ravitaillements, c’est la certitude de trouver sur ces moments cruciaux une atmosphère propice à l’apaisement, à la régénération. D’autant plus que Benoit a pour lui cette expérience du très haut-niveau sur des compétitions d’ultra-trail. Du fait de son vécu, tu absorbes beaucoup plus facilement ses mots. Aussi, Benoit, il sait sortir du contexte de la compétition pour se concentrer sur la personne. Car quand tu es dans le dur, que tu as mal à la gueule, que l’engagement physique est total, tu accordes assez peu d’importance au fait de savoir qui est 5 minutes devant ou 5 minutes derrière. Tu as juste besoin de réconfort. De te recentrer.
« Je vais me préparer du mieux possible, avec méticulosité, pour arriver sans regret et sans excuse sur la ligne de départ. »
Est-ce un challenge supplémentaire que de courir à des milliers de kilomètres de sa zone de confort ? Comment as-tu géré l’adaptation d’un point de vue de l’alimentation et du décalage horaire ?
Benoit (Nave) nous avait conseillé de privilégier les fruits et légumes crus dès notre arrivée pour assimiler au mieux la fatigue générée par le décalage horaire. Ensuite, il était assez aisé de reproduire mes habitudes alimentaires françaises, sans gluten et sans lactose. Les Japonais ont un mode de vie extrêmement sain ! J’ai même pu avoir droit à ma patate douce d’avant-course ! En ce qui concerne le sommeil, j’ai cette faculté et cette chance de pouvoir m’endormir partout et en toutes conditions. Le décalage m’a donc très peu impacté.
Une victoire aussi maitrisée en début de saison constitue certainement un vrai gage de confiance pour les échéances à venir. Quel est désormais le programme pour préparer celles-ci ?
J’ai rechaussé les baskets le 20 mars seulement, après un bel hiver passé sur les skis de fond. C’est donc très encourageant, oui. D’autant plus que je n’ai pas encore réalisé ces séances d’intensité qui me permettent généralement de créer un pic de forme. Je me projette donc assez sereinement vers la suite, c’est à dire la Hardrock, en juillet. Je vais récupérer tranquillement de tous les phénomènes inflammatoires inhérents à un ultra puis certainement reprendre le vélo en fin de semaine prochaine, avant d’entamer, si tout va bien, un nouveau bloc de course à pied aux alentours de la troisième semaine de mai.
Cette Hardrock s’annonce épique : 160 kilomètres, 10 000 mètres de dénivelé positif, une altitude moyenne de 3600 m, plusieurs passages au-dessus de 4000 m, la présence de François D’Haene et Kilian Jornet à tes côtés sur la ligne de départ ainsi qu’un petit goût de revanche suite à ta mésaventure de l’an passé… Quel état d’esprit t’anime ?
L’idée de partager un petit moment avec les deux costauds cités précédemment me motive vraiment. Je vais me préparer du mieux possible, avec méticulosité, pour arriver sans regret et sans excuse sur la ligne de départ. Mon credo sera le suivant : faire du mieux possible ce que je sais faire. Je n’ambitionne pas d’être extraordinaire mais simplement d’être la meilleure version de moi-même. Pour moi, Kilian et François sont un cran au-dessus. Si je sens que je sors de mes allures à vouloir les suivre, je ne m’accrocherai pas. Par contre, si j’en suis capable, j’irai au combat !
En guise de conclusion, une dernière question : qu’est-ce qui est le plus facile ? Effectuer le Tour du Mont-Blanc ou celui du Mont-Fuji ?
(Rire suivi d’une hésitation) Un ultra facile, ça n’existe pas ! Même si le profil alpin et montagneux de l’UTMB m’attire un peu plus… En fait, tout est une question de perception, de sensation et de ressenti. Tout dépend de ta forme puisque c’est elle, avant tout, qui va déterminer le plaisir que tu vas éprouver pendant la course et les sentiments positifs et agréables que tu vas pouvoir en retirer.
Baptiste Chassagne – © photos : Peignée Verticale
décembre, 2024
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