🎙️Claire Bannwarth – Istria100, en amuse-bouche ?🎙️

Claire Bannwarth

 « Viens en Croatie le 5 avril, c’est rien qu’un petit 100 miles. Et puis tu montreras comment on fait aux hommes ». Au Café du commerce, c’est à peu près ainsi que nous tenterions de convaincre Claire Bannwarth…

Recueilli par Julien Gilleron

Qu’est-ce qu’un 100 miles lorsqu’on en court 9 par an ? Ou qu’on aligne 266, 324, 304, 307, 423, 511 (en kilomètres), 28 épreuves dont des Backyards dinatoires ? Allez lui dire à Claire, que les braves gens raisonnent en « objectifs » ou pire, en règles. En 2023, la Champenoise de 35 ans attaquait en janvier (431K) et bouclait en décembre (226.7K). Voila. L’ultra-phénomène que l’on ne présente plus sera favorite d’Istria 100 by UTMB : 168 petits kil’ plutôt roulants au 4e mois d’une saison Bannwarth, ça nous intrigue.

2023 t’a-t-elle prouvée que courir à ta façon te convenait physiquement – sans écouter les Cassandre du « trop » ?

Claire Bannwarth : en effet, j’ai constaté que ça fonctionnait plutôt pas mal. Bon…j’avoue que l’enchainement Hardrock 100, Tahoe 200 (NDLR : 1ère femme gagnante au scratch) puis Colorado Trail et ses 900 km d’un coup, me laissait un poil dans le doute quand même : au départ, je ne pensais pas que ça allait si bien marcher. Mais au final, tout s’est bien passé et j’en ai retenu qu’il n’y avait pas de suraccumulation, qu’il fallait que j’arrête de me mettre des limites ou de me dire que certaines choses n’étaient « pas raisonnables » : car en réalité, elles le sont. J’en ai retiré beaucoup d’idées pour la suite, notamment sur des Thru Hiking ou le genre d’enchaînements du même style. À la con, quoi (rires).

Parmi tes compétitions, penses-tu que tu as le même degré de passion pour les « mythes » (Hardrock, UTMB, Western States…) qu’une coureuse qui s’investit à fond pour l’une de ces dates ? Pas de risque de les noyer dans la masse ?

CB : Lorsque c’est réellement un objectif dans ma saison – tel que l’UTMB – oui, je m’investis totalement car je pense avoir les mêmes chances que des « élites », ou des athlètes qui ne s’entrainent QUE pour cela : si je m’y attelle correctement, je me laisserai un mois sans trop m’aligner ailleurs et j’arriverai en pleine forme. Plus qu’une notion de « mythe », mon engagement dépend du niveau d’importance de la course sur l’année ; la Hardrock par exemple n’a pas toujours été mon objectif majeur et ne le sera pas encore en 2024. Pour l’instant, hormis l’UTMB, j’ai encore du mal à me mettre de tels enjeux sur des ultras célébrissimes : je sais que ça a l’air génial…mais ça ne m’électrise pas. L’UTMB, ce sont les championnats du monde de trail, donc toujours un objectif principal à mon cœur. Mais effectivement, quand tu fais 25 ultras par an, même en différenciant le majeur du secondaire, tu ressens parfois que certaines te marquent moins, noyées dans la masse. Grosso modo, je conserve la règle de 3 semaines sans compétition avant une course que je considère comme importante, qui m’implique.

Claire Bannwarth
Claire lors de sa victoire sur la 360° TransGranCanaria – credit Ian Corless

2024 a débuté par ta 2e victoire sur Montane Winter Spine, 431K de bambée froide so british. Quels seront tes enchainements juste avant/après Istria ?

CB : Avant, le menu est assez simple : Legend Trail (185K/10000+), puis un 300 kilomètres à 13000 de D+ environ 10 jours plus tard à Tarragone. Une semaine après, je viens de poursuivre mi-mars avec une Backyard où j’ai couru 290K sur 43 heures. Suivra un 100K fin mars avec 3000 de D+ à Zurich, et je partirai faire un peu de randonnée avec mon mari avant Istria. En gros, j’aurai quasiment enchaîné pendant un mois avant la Croatie. Pour la suite ? ben…on continue sur la même lancée, mais je réfléchis encore : Dernier Survivant, puis Trail de Wurson 8 jours après car c’est un beau 80K, pour arriver sur le MIUT la semaine d’après. Ensuite, les 185K du Cami de Cavalls, puis une course UTMB, etc…en gros, quasiment tous les weekends jusqu’à fin juillet.

Tout ceci pour en venir…à Istria, et marquer sa différence face à beaucoup de tes formats. Toi qui finissais 6e en 2022, pourquoi ce retour ? Quelles spécificités de ta course vas-tu tenter d’améliorer (ne nous dis pas : « faire davantage attention à la flore »)

CB : Istria, j’ai en effet envie d’y retourner après cette 6e place en 2022 et 10 mois d’anémie cette même année. Bien que ce n’était pas encore critique au moment de l’épreuve, j’ai vraiment souffert – notamment sur la fin de course – et je pense que je peux faire largement mieux. J’avais adoré le parcours à la fois technique au début, puis super roulant ; je crois que ça me correspond parfaitement et l’envie de voir ce que ça peut donner maintenant que je suis en pleine forme me motive énormément. Il y a une vraie revanche à prendre, là.

“Je suis profondément compétitrice, surtout envers moi-même”

Tu apparais favorite. Néanmoins, te sens-tu fondamentalement compétitrice ?  Tu pratiques tellement de formats introspectifs et dépassant les codes, qu’on se demande ta définition du « challenge ».

CB : Et…je ne me sens pas du tout favorite ! Parce que le 100 miles n’est pas trop mon truc : je ne m’entraîne absolument pas pour ce format, mais pour du 200 miles voire pire. On serait même plutôt sur une préparation « grosse boucherie » dépassant largement les 300K, ou des Barkley ou Thru Hiking…Sans blaguer, à Istria, je vais faire ce que je peux, façon « séance de vitesse » car j’irai nettement au-delà de mon allure habituelle. Finalement, un 100 miles correspond au format que j’aimerais pouvoir courir rapidement ; c’est davantage un challenge qu’un 200 miles où je trouverai ma zone de confort. Compétitrice ? Oui, je pense l’être, profondément et envers moi-même : à chaque fois que je prends un départ (normalement…), c’est pour me dépasser, et non me mesurer aux autres, donner le meilleur de ce que je peux faire. En fait, je suis même très, très compétitrice car j’accroche des dossards spécifiquement pour ça : sinon je ne me dépasse pas. Dis-moi « tu vas courir 80 kilomètres » et je te les ferai en 11 heures ! Avec un dossard, magique, je me bougerai pour les faire en 7h30 (rires).

Claire Bannwarth
sur les chemins de Cami de Cavalls

Mathématiquement, plus l’on excède la barre des 200 kilomètres, plus ta carrière te montre dominatrice. Te manquerait-t-il quelque chose pour trôner – absolument – sur la catégorie 100 miles ? 

CB : (Réflexion)…il faudrait surtout que je m’entraine spécifiquement pour cela : des séances de vitesse, un peu de fractionné, d’intensité. Par exemple actuellement, je me prépare très sérieusement pour du 200 miles, très long, très pentu, façon Thru Hiking. J’ai des objectifs à court ou moyen terme axés sur cette très longue distance, comme le Tor ou la Barkley ; des projets qui dépassent les 500 kilomètres. Et dans cette optique, mon entrainement est vraiment ciblé, j’accumule beaucoup de volume sans trop d’intensité – en tous cas, pas à pied, quelque peu à vélo. Mais pour m’améliorer sur 100 miles, il faudrait en passer par des formats plus courts en essayant d’aller vite. Or, ils restent encore trop rares car ce ne sont pas mes enjeux principaux. Un jour peut-être me dirai-je « bon, tu dois viser le top 5 à l’UTMB ! » et je ferai évoluer ma prépa. Et puis le paramètre personnel reste important dans tout cela : je ne suis pas athlète pro et quand je sors du boulot, je cours un peu à l’envie et au plaisir, c’est à dire sans vraiment d’intensité mais avec beaucoup de volume à allure modérée. Qui sait, je me mettrai sans doute aux séances de qualité sur piste, au travail de VMA, etc. Mais là, vraiment pas envie de me taper des 4×400 ou ce genre de choses ! C’est mentalement plus simple pour moi et de toute manière, je ne dépasserai pas forcément les 14 à l’heure sur mes prochaines courses !

novembre, 2024

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